20 ans après, l’Union européenne toujours impopulaire et antisociale !

29 Mai 2025

Le 29 mai 2005 est une date marquante de la période contemporaine puisque ce jour-là, les électeurs ont rejeté l’adoption du Traité constitutionnel européen. C’est un événement car un vote populaire massif des travailleurs, de la jeunesse, des grandes villes aux territoires ruraux, s’est exprimé alors pour dire ‘’non’’ à la fuite en avant libérale. C’est un souvenir marquant pour moi, jeune communiste de Gironde impliqué dans une de mes premières campagnes. 

Du déroulé de la campagne au contenu du traité constitutionnel européen, les liens avec l’actualité politique présente sont criants. 

Dès l’annonce d’un référendum par le président d’alors, Jacques Chirac, la doxa libérale s’est mis en branle pour dénoncer non seulement le processus démocratique mais également les partisans du ‘’Non’’ au texte à portée constitutionnelle. 

A mesure que les sondages confirmaient un rejet net et populaire du texte proposé par le Haut-commissaire Valéry Giscard d’Estaing, la hargne médiatique n’a eu de cesse de taxer de populistes, de racistes, d’irresponsables, celles et ceux qui interrogeaient cette construction européenne défaillante. 

N’en déplaise à ces chiens de garde, la campagne fut un moment de mobilisation extraordinaire, de débat politique participatif animé par des collectifs unitaires à travers tout le territoire. Des ouvriers, des employés, des étudiants, des retraités se réunissaient pour analyser le texte, décortiquer les articles dont certains étaient très techniques et précis comme celui sur l’usage des graisses animales…L’Humanité avait notamment publié un hors-série décortiquant le texte, devenu au fil de la campagne un outil phare de la mobilisation. Loin des caricatures sur le rejet d’un prétendu plombier polonais, ce sont des forces vives qui confrontaient un texte avec leurs réalités sociales.

Le contenu du texte avait de quoi faire débat. Des références sur les racines chrétiennes de l’Europe à la libéralisation de tous les pans de la vie économique et sociale, remettant en cause les services publics, puis l’alignement inconditionnel vers un atlantisme arrogant et guerrier (deux ans après l’invasion illégitime de l’Irak par une coalition étatsunienne), les inquiétudes étaient légitimes. Le débat public, poussé par la mobilisation populaire, a permis de soulever des espoirs et d’appeler à une autre construction européenne basée sur la solidarité, la coopération. Les forces progressistes en appelaient notamment à une autre utilisation de l’argent, par le biais de la Banque centrale européenne, à des coopérations avec le voisinage immédiat du Vieux continent.

Le ‘’Non’’, inattendu, a marqué un signal fort, repris quelques semaines plus tard par le rejet du même texte aux Pays-Bas puis en Irlande. Si dans ces deux pays, une deuxième consultation a eu lieu, le non a fait l’objet d’un déni intolérable en France.

Elu notamment sur la promesse de réviser le traité constitutionnel européen, devenu traité de Lisbonne, Nicolas Sarkozy a littéralement validé le texte originel et foulé aux pieds la volonté populaire. 2007 fut également le moment d’application de la directive Bolkenstein, du nom du commissaire européen à la (sacro-sainte) concurrence. Ce texte, symbole du libéralisme le plus débridé, a établi le recrutement de travailleurs communautaires selon les règles de leur pays d’origine (salaires, temps de travail) actant un nivellement par le bas des conditions de travail de l’ensemble des salariés. François Hollande en fera de même cinq ans plus tard, ne touchant pas une ligne du mécanisme européen.

Vingt ans plus tard, les dégâts d’une concurrence sans limites, accentuée par deux crises économiques (subprimes puis Covid) sont considérables. 

L’Union européenne n’est plus celle du consensus du marché libre et non faussé mais celui d’un conservatisme débridé aux accents sécuritaires, identitaires et antisociaux. 2005 a enclenché le cycle dit des populismes avec près de la moitié des gouvernements européens désormais dirigés par l’extrême droite ou participant à une coalition gouvernementale. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas du tout hostiles à une Union européenne qu’ils dénoncent dans les mots mais dont ils appliquent les préceptes néolibéraux de manière zélée, teintés de racisme et de conservatisme.

Derrière une façade démocratique, c’est un technocratisme qui s’est imposé contre les besoins sociaux, répondant à une mondialisation de traités de libre-échange, toujours au service des puissants, des intérêts financiers des conglomérats dans l’agriculture, l’industrie, la santé. Cela a consisté en « modération salariale », en privatisations, en réformes territoriales toujours plus violentes contre les couches moyennes et populaires. L’austérité a toujours été la réponse  aux différentes crises, particulièrement en Europe du Sud où les peuples subissent encore les dégâts d’une crise de la dette privée (donc principalement des banques). Il faut dire que les mobilisations populaires ont été au mieux ignorées, au pire étouffées. L’expérience de la coalition de gauche progressiste en Grèce en 2015 a été marginalisée alors même que les gouvernements dits illibéraux, tels la Hongrie, bénéficient d’une mansuétude de la part de la Commission européenne. Il serait vain de se cacher derrière la malveillance d’une élite technocratique à Bruxelles. Les gouvernements des Etats ont leur responsabilité pleinement engagés et peu se sont opposés à toute voie alternative aux dogmes libéraux.

La construction européenne devait amener prospérité et paix, basée sur une  économie de la connaissance la plus compétitive du monde. Vingt ans plus tard, l’Union européenne reste une zone économique relativement riche comparé au reste du monde. Mais elle prend le chemin d’un déclin car elle n’a pas anticipé les chocs qu’elle a elle-même alimentés. Dans un monde où les puissance émergentes d’hier comptent davantage dans les affaires du monde, ce qui est logique quand l’Asie notamment représente la moitié de l’humanité, l’Europe décroche. Le rapport Draghi en atteste, appelant à faire les investissements d’avenir. C’est bien de s’en soucier après des décennies de bradage de l’industrie pour produire à moindre coût ailleurs, de saccager l’agriculture, d’affaiblir le tissu social de tous les pays membres. L’Union européenne s’est elle-même sabordée en participant à un jeu de libre-échange dérégulé sans vision d’avenir : aucun champion industriel n’a émergé dans les hautes technologies, la santé, l’énergie, sujets qui ont été au cœur des récentes crises et montré la nécessité d’une souveraineté dans ces domaines.

La guerre n’est plus aux portes de l’Europe mais en plein cœur du continent et la fuite en avant militariste vers l’économie de guerre, avec des gouvernements aux teintes nationalistes, ne présage rien de bon. Concevant son voisinage comme foncièrement hostile, notre continent s’est muré dans une politique migratoire irresponsable avec l’Europe forteresse du programme Frontex.

Mais plutôt que de raisonner en termes de compétitivité ou de glisser sur une grille de lecture civilisationnelle comme le veut l’extrême droite, c’est la finalité de la construction européenne qu’il faut réinterroger. 

Ce n’est pas d’un saut vers le fédéralisme, d’un marché unique des capitaux, de commandes militaires mutualisées qui sauveront le soldat Union européenne. Une refondation de la construction est essentielle pour répondre aux défis du XXIe siècle.

Une Union des peuples et des nations souverains et librement associés doit émerger. Un nouveau traité pourrait refonder les règles communes en associant les volontés des gouvernements et des peuples. Une refondation devrait notamment permettre d’investir par un fonds européen écologique, économique et social pour réindustrialiser, adapter nos sociétés au changement climatique (notre continent étant celui qui se réchauffe le plus vite), bâtir des nouveaux services publics. Il faut repenser notre rapport au monde, dépassant l’héritage colonial, et aller vers un multilatéralisme coopératif avec le « Sud global ».

Tout cela ne sera possible que par une implication populaire, agissante au niveau national et par des actions communes au niveau continental. Les forces du travail et de la création doivent être motrices car rien ne se fera par le haut mais au contraire par un lien nécessaire entre les luttes et les perspectives politiques. 

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