La censure n’est pas une option, mais la solution 

15 Oct 2025

Le Président Macron était en train de perdre la main et même de perdre pied. Depuis son acte de dissolution, sa fameuse « grenade dégoupillée » lancée aux députés et à la France entière, il semblait hésiter, esseulé, enfermé dans sa vérité alternative au même titre que Bolsonaro ou Trump refusant le résultat des urnes. 

Depuis 2023,  la réforme des retraites imposée sans vote à l’Assemblée Nationale, par un passage en force rarissime au Sénat, et sans soutien majoritaire dans le pays, a laissé une profonde fêlure démocratique, tout comme le non-respect du vote sur le traité européen, comme le rappelait hier à la tribune de l’Assemblée Nationale, Stéphane Peu, président du groupe GDR. 

Combattue sans relâche par une intersyndicale unie, par une puissante mobilisation sociale, cette réforme, sans fondement financier, remettant en cause les conquis sociaux, a été pensée pour faire plaisir aux forces du capital qui continuent à exiger toujours plus de réformes structurelles. 

En pleine crise du capitalisme financiarisé et alors que les peuples luttent, notamment la jeunesse comme en ce moment au Maroc, au Népal et partout ailleurs, pour leurs droits, le capital toujours plus vorace veut aller plus vite et plus loin dans l’accaparement des richesses, des pouvoirs, des savoirs notamment avec le développement à marche forcée de l’IA quitte à s’acoquiner avec l’extrême droite. 

En France, les gouvernements successifs alliés au capital veulent réduire le nombre de fonctionnaires pour affaiblir encore plus le service public et casser les solidarités territoriales, baisser les dépenses publiques mais pas celles en direction des entreprises, et surtout ouvrir la retraite à la capitalisation pour que le privé mettent la main sur le magot de la protection sociale. 

Ces choix politiques délétères sont faits dans un contexte où la Commission européenne et l’OTAN demandent l’augmentation des budgets militaires sur fond de crise géopolitique aiguë tout en demandant de respecter les 3% de déficit. 

Et attention si les réformes structurelles demandées ne sont pas menées, alors les agences de notation dégradent votre note pour vous mettre sous pression. C’est précisément pour cette raison que Bayrou a construit son récit politique autour de la dette pour faire dominer la peur et faire avaler une nouvelle pilule austéritaire au moment où la soif de justice sociale et fiscale s’exprimait largement dans le pays. 

Mais le Président était bloqué par une Assemblée nationale où son propre camp gardait la main mais de façon relative.

Borne et Attal ne pouvaient pas répondre à ces nouvelles attentes. Ils n’en n’avaient pas les moyens, les résistances étaient trop vives dans le pays et à l’Assemblée. 

C’est dans ce contexte qu’il a dissous, sans même en informer son Premier ministre de l’époque. 

Exploser l’échiquier politique pour poursuivre coûte que coûte son œuvre, quitte à confier le pouvoir à l’extrême droite, et se draper dans une position de protecteur de la Nation face à l’extreme droite. Et espérer que le pays livré à feu et à sang, par des politiques libérales, de profondes divisions puisse lui être favorable pour être le premier Président à faire un troisième mandat après une pause imposée de 5 ans. 

Le Président le sait, d’autant plus qu’une part significative du capital français a déjà basculé dans les bras de l’extrême droite, comme son confrère italien s’accommode très bien d’une Meloni. 

Le coup stratégique et politique fut raté, grâce au rassemblement des forces de gauche et de l’écologie et d’un mouvement populaire large qui se rendit aux urnes pour déjouer ce scénario catastrophe. Macron n’avait plus le choix. Il fallait refuser coûte que coûte le résultat des urnes. 

Jouant avec les institutions, piétinant la Constitution, foulant au pied le résultat d’un vote populaire massif, il n’a jamais eu l’intention de nommer un Premier ministre de gauche. 

Le faire, c’était acter une véritable cohabitation. Il aurait fini, dans un rôle de spectateur, en regardant passivement la gauche remettre en cause sa politique depuis 8 ans. Et certainement de réussir et donc d’anéantir son rêve de revenir. 

Il a donc forcé la main, pour la garder en s’alliant avec les LR pour poursuivre son œuvre destructrice d’épuisement du vivant et de la nature au profit de la société de rente de de l’héritage. Épuisant tour à tour, Barnier, puis Bayrou, il s’est entouré de son clone, Lecornu. Ministre de la guerre, droitier et libéral, macroniste de la première heure, il a décidé de jouer son va-tout. Retailleau rêvant déjà de l’Elysée et cherchant un point de désaccord à tout prix, s’appuyant sur le prétexte de la nomination de Bruno Le Maire,  a décidé d’exploser le socle commun.

Lecornu était alors obligé de démissionner avant même d’avoir eu le temps de diriger un gouvernement. 

Et c’est Retailleau son meilleur ennemi qu’il lui offrit une ouverture dont on s’aperçoit dès maintenant que son empressement lui est défavorable. 

C’est dans cette situation de chaos politique, que le Président a  trouvé une voie provisoire, pour reprendre la main. Avec son jeu préféré : exploser l’échiquier politique, pour recomposer et se placer au centre du jeu. C’est lui, ou le chaos. C’est lui, ou les extrêmes, renvoyées dos à dos. Un extrême centre comme le décrit parfaitement Pierre Serna, au service d’un projet illibéral et autoritaire. 

Après avoir réalisé un accord tacite de non censure avec le RN, en faisant monter au créneau le ministre de l’intérieur, le très droitier Retailleau, il allait tenter d’obtenir une non-censure de la gauche, puisque Le Pen engloutie dans les affaires est obligée maintenant de voter coute que coute la censure. 

C’est là où le plan machiavélique s’est mis en route. Le Président comme sa majorité, n’a aucune intention de revenir sur les retraites. Bayrou avait inventé le conclave. Lecornu va proposer la suspension, tout en disant d’entrée qu’il n’allait pas utiliser le 49.3 et qu’il allait redonner toute sa place au Parlement. Pile ce que demande la gauche depuis 2 ans. 

Et là, le piège se referme. Il ne va donc pas prendre un décret, mais proposer au parlement de voter cette suspension, par un amendement au PLFSS. Très certainement, il trouvera une majorité à l’Assemblée pour l’adopter ou même voter l’abrogation. Puis le texte viendra au Sénat. Il sera rejeté quelle que soit la formulation choisie. Et le sort de la suspension devrait se régler dans le huit clos de la Commission Mixte paritaire. Et là, pensez-vous, que la majorité de droite et macroniste, accompagnée par l’extrême droite, suspendra la réforme auquel ils tiennent comme à la prunelle de leurs yeux ? Que nenni 

Mais Lecornu aura tenu sa parole. Ne pas utiliser le 49.3, laisser le débat parlementaire, et proposer sa suspension. Mais le Parlement aura tranché. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Dans le même temps, il ouvrira une nouvelle consultation, pour aller plus loin, notamment sur la question de la capitalisation et peut-être sur une nouvelle mesure d’âge, de 65 à 67 ans. Mais si la conférence sociale que veut instaurer Lecornu comme nouvelle manœuvre, n’oublions pas qu’elle s’inscrit dans la suite d’une mobilisation populaire qui a déplacé plus de 2 millions de personnes dans la rue. Ceux-là et les autres ont rappelé que ni la réforme des retraites, ni les plans d’austérité n’étaient acceptés par la population.

La suspension jusqu’à l’élection présidentielle est un donc un leurre. Elle ne sera jamais effective. Mais elle a l’avantage pour le Président de gagner du temps, de faire de l’enfumage autour du changement de méthode, et de s’arroger pour un temps, les voix de la non-censure de la part des députés socialistes. 

Et il faut bien voir que le budget proposé par Lecornu est une pale copie que le budget de saignée sociale de Bayrou. 

Augmentation générale des impôts via le gel du barème de l’impôt sur le revenu, mais baisse du pouvoir d’achat des retraités et  des allocataires des prestation sociales via l’année blanche ; mais aussi nouvelles coupes budgétaires sur les 5 milliards d’euros pour les collectivités territoriales, doublement des franchises médicales, augmentation de la TVA sur les auto-entrepreneurs…

Et alors qu’une soif de justice sociale et fiscale s’exprime dans le pays, il n’est plus question d’une taxe Zucman ou vidée de son contenu et exit les 26 recommandations du rapport sénatorial sur les 211 milliards d’aides publiques aux entreprises. 

Macron réussit donc un double pari, si on le laisse faire. Diviser la droite qui rage d’avoir perdu la main ; diviser durablement la gauche et rendre la fracture insurmontable en cas de nouvelle dissolution ; diviser le camp syndical, qui doit revendiquer cette brèche ouverte, mais qui va se diviser sur la stratégie à mettre en œuvre devant ce nouveau gouvernement. Et la réforme ne sera jamais suspendue. 

Il est donc urgent de ne pas se laisser berner et de tomber dans ce piège tendu. La gauche et l’écologie doivent s’unir pour censurer, car si elle le fait au moment du budget, les élections législatives nationaliseront beaucoup les élections municipales, qui est aussi une question et surtout un problème. Ceux qui ne censureront pas, nourriront certainement pendant quelques semaines, d’une victoire et que la gauche de la responsabilité, peut arracher des victoires. Mais lorsque viendra le final, la colère sociale sera encore présente et l’incompréhension renforcera l’extrême droite. 

Ce gouvernement comme les 4 précédents est illégitime. Illégitime, car il propose a la macronie de conserver la main et de poursuivre sa politique. Tout doit être mis en œuvre pour les stopper, et la censure n’est pas une alternative, elle est une nécessité. 

Nous devrions d’ailleurs porter haut et fort, la nécessité d’une censure portant en son cœur, l’urgence d’une constituante, et porteuse de changement politique. Porter une censure et des mobilisations sociales, qui veulent faire de la bataille budgétaire une bataille populaire, partout dans le pays. Voici le chemin que nous devrions prendre collectivement. 

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