Guerre commerciale : toujours au service des plus riches

9 Avr 2025

Un ouvrier de l’automobile à la retraite en gilet jaune qui salue un président milliardaire multicondamné après avoir annoncé une guerre commerciale sans précédent. Voilà l’image la plus saisissante de la conférence organisée par la présidence étatsunienne hier soir. En taxant massivement les marchés concurrents (de 10% à 49%), Washington a créé une onde de choc mondial.

C’est un choc peu surprenant puisque Donald Trump, à l’image des extrêmes droites du monde entier, applique à la lettre ses menaces. C’est en Europe que les coups font le plus mal, puisque les Etats-Unis gardent dans l’imaginaire occidental de protection du monde libre, au service d’un libre-échange doux et harmonieux.

Si le mandat démocrate a pourtant démontré une chose, c’est que quelle que soit la méthode, les Etats-Unis veulent maintenir leur domination voire leur hégémonie coûte que coûte. Sous Joe Biden, les Etats-Unis avaient par l’Inflation reduction Act (IRA) subventionné massivement leur industrie pour inciter l’implantation d’entreprises et en faire le marché international le plus attractif. Les autres pôles économiques étaient déjà lésés, notamment les Européens. 

La méthode trumpiste, plus brutale, accentue cette tendance. Elle répond à des impératifs internes et externes.

Sur la scène domestique, à l’image de cet ouvrier soutien du président milliardaire, des syndicats de l’industrie ont soutenu d’emblée le plan de taxation. Cela permettrait d’après ses promoteurs et soutiens de rapatrier des milliers d’emplois, notamment dans ces Etats qui ont subi le plus la désindustrialisation depuis les années 1980.

Pourtant, le retour d’industries ne se décrète pas en quelques semaines. Les marchés qui regroupent les investisseurs réfléchissent à la pérennité de ce type d’aides publiques massives. Pour quels niveaux de salaires seront produits les automobiles aux Etats-Unis sachant que c’est ce même coût salarial qui a justifié les délocalisations en Asie et en Amérique latine ? Les ouvriers étatsuniens devraient s’inquiéter du coup de massue qui les attend car les Républicains sauce libertarienne MAGA ne sont pas des adeptes de protections salariales et sociales. 

D’ailleurs, ce même patriotisme économique est concomitant de deux phénomènes impactant aux Etats-Unis. Une inflation record qui ne s’est pas calmée avec le départ de l’administration démocrate. La montée des droits de douane va probablement renchérir les prix, notamment de produits de base, pénalisant les plus modestes des travailleurs. Surtout, cette politique est concomitante de projets de casse sociale avec la suppression ou l’affaiblissement d’administrations publiques sous l’égide d’Elon Musk. Ce dernier assume, par de grossiers mensonges dont il est coutumier, de vouloir sabrer sur les soi-disant coûts faramineux des programmes médicaux et sociaux. Medicare et Medicaid bénéficient aux plus modestes et aux travailleurs sans protection sociale. Mais la base populaire de l’électorat républicain est rétive à cette suppression, ce qui explique la tension instillée par le gouvernement pour saturer l’espace public d’annonces choc contre les concurrents commerciaux et sur les sujets de l’immigration, du genre pour fracturer les classes populaires. Dans le même temps, les cadeaux fiscaux aux plus riches sont accentués au nom de la liberté d’entreprendre. 

Sur la scène internationale, le programme de barrières douanières est du même acabit que la négociation étatsunienne sur l’Ukraine. Les annonces sont des procédés d’humiliation pour forcer chaque interlocuteur à négocier individuellement avec Washington. Au passage, notons que le mensonge est aussi au cœur de la stratégie trumpiste. Mélangeant règles tarifaires et non tarifaires, incluant les taxes comme la TVA, le président étatsunien exagère et trompe délibérément son auditoire. Le déficit commercial des Etats-Unis avec l’Union européenne est ainsi de moins de 50 milliards mais Washington n’a pas compté les activités de services où le pays de l’Oncle Sam est largement excédentaire…De même, la méthode de calcul farfelue décompte des aides publiques comme le ferait le CNC pour le cinéma français dans la transaction, ce qui est un non-sens économique.

Pourquoi cette agressivité commerciale alors que les règles du marché mondial profitent déjà aux multinationales, que les règlementations sont peu contraignantes et que les tribunaux de droit privé règlent l’essentiel des différends commerciaux ? Il s’agit en réalité d’une volonté des Etats-Unis de faire payer aux Etats du monde entier sa domination… comme une rente de situation. Pour s’attirer les faveurs de Washington, il faudrait acheter davantage les produits étatsuniens et acheter des bons du Trésor de la Banque centrale des Etats-Unis mais sans les taux d’intérêts ! En clair, participer au Conseil d’administration des Etats-Unis et en assurer la prospérité mais disposer par ruissellement (ça vous rappelle quelque chose ?) de la richesse produite. 

Ceci n’est pas sans poser d’énormes difficultés. La première est que beaucoup d’Etats ne veulent plus d’une hégémonie étatsunienne. Après le rapt des terres rares ukrainiennes, des ventes de matériel militaire aux pays européens, l’Union européenne va-t-elle continuer à se laisser marcher dessus alors que d’autres Etats se disent prêts à riposter ? La semaine dernière, la Chine anticipait avec le Japon et la Corée du Sud des premières mesures pour accentuer l’intégration économique entre leurs marchés pour se soustraire aux impératifs trumpistes. Les Etats émergents réunis au sein des BRICS vont probablement réagir, eux qui portent notamment l’idée d’une monnaie commune mondiale.

Les entreprises étatsuniennes qui ont d’énormes marchés en Asie, en Europe vont tenter de répercuter leurs coûts vis-à-vis de leurs fournisseurs étrangers, ce qui sera facteur de tensions. 

Contrairement à ce qu’on peut croire, le coup de force de Washington n’est pas synonyme de puissance. Cela révèle son affaiblissement relatif et le fait qu’il n’est plus seul maître des règles du commerce mondial. La menace que fait peser l’Oncle Sam est celle d’un désordre international, d’une mondialisation encore plus dérégulée et sauvage, d’une phase d’un capitalisme conquérant avec son bras armé impérialiste par l’utilisation de tous les leviers (financiers, monétaires, militaires). 

Rien n’est perdu pour travailler à d’autres règles d’une mondialisation de progrès, d’échanges mutuellement fructueux entre Etats et entre peuples. La France et l’Union européenne pourraient en être moteurs, avec une économie de connaissance parmi les plus performantes, d’une telle démarche. Il faut la volonté politique, tout simplement.

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