Kurdes : l’aube d’une nouvelle ère ?

10 Mar 2025

« Tous les groupes doivent déposer les armes et le PKK doit se dissoudre » : c’est par cette déclaration tonitruante que Abdullah Öcalan a appelé ses partisans à cesser la lutte armée en fin de semaine dernière. Après plusieurs semaines de discussions secrètes entre autorités turques et forces progressistes du parti DEM, alimentées par des déclarations sibyllines de soutiens de Erdogan, la déclaration du chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) est un bouleversement dans la cartographie régionale.

Après 40 ans de lutte armée dans les régions kurdes de Turquie entre l’Etat turc et l’organisation politico-militaire du PKK, la voie d’un désarmement serait un tournant considérable. Ces affrontements ont fait près de 70 000 morts, 15 000 du côté des forces de sécurité turques et plus de 50 000 dans les rangs kurdes. 

Cette révolte kurde ne venait pas de nulle part. Lors de l’édification d’un Etat souverain et laïc en Turquie, sur les ruines de l’Empire ottoman, les populations kurdes ont constamment été marginalisées et leur fait national et culturel nié. Interdiction de la langue, discriminations systémiques, violences d’Etat : le soulèvement mené par le PKK visait à libérer les Kurdes d’une oppression insupportable. La répression a été féroce avec le soutien occidental puisque non seulement le leader Abudllah Öcalan a été arrêté par les services secrets américains mais la présence d’Ankara au sein de l’OTAN a justifié de classer le PKK comme organisation terroriste. 

Après la lutte pour l’indépendance, le PKK s’était orientée progressivement vers la voie du confédéralisme démocratique, afin d’obtenir la reconnaissance du fait culturel kurde et de sa libre expression en Turquie mais aussi par des liens avec les autres communautés kurdes des pays voisins du Moyen-Orient, que les pouvoirs autoritaires marginalisent également.

Là aussi, cette voie originale confédérale semble être abandonnée par le prisonnier d’Imrali dans sa déclaration : « Les solutions nationalistes extrêmes, telles que l’État-nation séparé, la fédération, l’autonomie administrative et les solutions culturalistes » n’offrent aucune réponse à la question kurde. 

C’est au contraire un nouveau chemin, celui du  « respect des identités, la possibilité pour chacun de s’exprimer librement, de s’organiser démocratiquement et de structurer son environnement socio-économique et politique ne sont possibles que grâce à l’existence d’une société démocratique et d’un espace politique démocratique ». Contrairement à ce qui est affirmé ici et là, la condition d’une normalisation des relations entre l’Etat central turc et les Kurdes n’est pas dans un simple arrêt des combats. Il s’agit d’obtenir une véritable paix reconnaissant les droits des Kurdes, une démocratisation des institutions leur garantissant liberté d’expression et liberté culturelle. La dissolution du PKK serait ainsi la voie vers une transformation du parti en force politique civile, participant à un jeu démocratique ouvert. Toutes ces conditions ne sont pas réunies à l’heure actuelle. L’heure est pour l’instant au soulagement et aux festivités car l’espoir d’un arrêt des violences, d’une vie normale est rendu possible. L’épuisement d’une population est aussi à prendre en compte surtout que le pouvoir d’Erdogan est impopulaire, miné par les problèmes sociaux, d’inflation et d’incurie comme l’ont démontré les derniers tremblements de terre. La libération des prisonniers politiques, dont en premier lieu Abdullah Öcalan, constituerait un préalable à une démarche d’apaisement tout comme celle des autres leaders politiques de la gauche comme Selahattin Demirtaş ou d’autres élus du DEM.

Ce n’est pas la première fois que des négociations ont eu lieu. Le fait qu’elles aient lieu avec le gouvernement le plus à droite de l’histoire turque peut surprendre surtout qu’il a réactivé une répression inouïe depuis 2015 et qu’il n’a pas hésité à s’en prendre à des militants de la cause kurde jusqu’en Europe même. Les meurtres de nos camarades en plein Paris constituent un terrible souvenir.

Il faut néanmoins se pencher sur le contexte régional pour comprendre l’ensemble des motivations d’un arrêt des combats. Le gouvernement turc veut prioriser son action sur la scène régionale du Moyen-Orient. Alors que les équilibres régionaux sont en plein bouleversement avec l’affaiblissement concomitant de la Russie et de l’Iran, la réaffirmation de la puissance israélienne ou le rôle moteur que veut jouer l’Arabie saoudite de Mohamed Ben Salman, la Turquie ne veut pas prendre de retard et peser dans cette nouvelle donne. La Syrie est à cet égard un cas d’école. Par ses entreprises de construction, la Turquie veut se rendre incontournable auprès du nouveau pouvoir de Damas. 

Mais il est impossible de normaliser les relations avec les Kurdes de Turquie si leurs homologues de Syrie sont pourchassés. Ces derniers, regroupés au sein PYD, affirment de leur côté ne pas déposer les armes en raison de l’incertitude pesant sur eux avec le nouveau pouvoir syrien. En effet, des milices financées et soutenues par la Turquie visent à les éliminer et les écarter de tout processus à venir à Damas. C’est intolérable et inconcevable au regard de leur situation et du projet d’émancipation qu’ils portent par une expérience démocratique, solidaire considérant toutes les communautés à égalité. Faut-il rappeler leur précieuse contribution dans la lutte contre Daech en 2015, libérant des territoires entiers seuls avant que les grandes puissances réalisent enfin qu’il fallait les soutenir. 

A l’heure actuelle, aucune réaction de la diplomatie française n’a été publiée. Il faut pourtant que la voix de la France se fasse entendre pour soutenir ce processus en y posant des conditions d’une démocratisation et d’un respect des droits fondamentaux du peuple kurde. 


J’ai accueilli au sénat ce matin la conférence : « Droits humains et démocratie en Turquie : Quel avenir politique pour les Kurdes ? »

En présence de Meral Danıs Bestas et Sezgin Tanrikulu députés membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie

Merci à François Asensi pour l’initiative

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