Aborder le centenaire de la mort de Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, nous est apparu nécessaire bien que délicat et complexe tant le personnage, longtemps adulé, fut aussi et demeure controversé. Force est de constater que les dernières décennies
ont laissé au point mort les études le concernant.
Cent ans après sa disparition, l’occasion est donnée de revenir sur sa vie et sa pensée sans mythifier ni mystifier.
On comprendra que l’Humanité ait souhaité prendre sa part dans cette évocation. Replonger dans la vie de Lénine, c’est s’immerger dans des récits, où les petites histoires rencontrent la grande. La vie de Lénine et de ses camarades est un roman dont l’intrigue fourmille de rebondissements, de tragédies, de sacrifices, de solidarités, de trahisons et d’espoirs.
Exils, déguisements, prisons, amours, clandestinité et secrets, attentats, braquages, insurrections… rien ne manque. Une biographie à faire pâlir d’envie les studios de Hollywood. Merci à l’écrivain Joseph Andras de restituer ces événements et ces personnages d’une plume nerveuse. Lénine n’a pas bon caractère, il est souvent de mauvaise foi, entend avoir toujours raison. Il est d’une intégrité qui le rend dur aux compromis. Ses certitudes se nourrissent d’échecs, ses choix procèdent de ce qu’il tient pour des faiblesses ou, pire, de ce qu’il perçoit comme des trahisons de l’idéal communiste.
Parfois, sinon souvent, en désaccord avec ses camarades, porté à l’exagération des différends du moment, il prononce des condamnations qui sont rarement définitives. Instruit du temps qu’exige la formation d’un « révolutionnaire professionnel», il s’efforce de valoriser ce que chacun peut apporter à la cause. Prompt à saisir une évolution, a repérer une opportunité, une brèche, il témoigne d’une détermination et d’une force de conviction qui n’ont d’égales que son intelligence stratégique et sa souplesse tactique.
La principale contribution de Lénine à la révolution russe, c’est d’avoir pensé et agi de telle sorte que le système qu’il combattait tombe tout entier. Le passe s’avéra plus résistant que ne l’imaginaient les acteurs de 1917, mais l’ordre féodal et arriéré fut bel et bien renverse. « L’empire des tsars était une « prison des peuples » et Lénine l’a ouverte », constatait Heene Carrère d’Encausse. Sur sa lancée, il préparait, d moins l’espérait-il, une révolution qui abolirait à l’échelle mondiale, cette fois, toutes les formes d’exploitation et de domination.
L’affaire se révéla plus compliquée. Prendre le pouvoir ne suffirait pas, pas plus que ne suffiront les apports de Lénine à la construction d’un parti et d’une théorie capable d’ébranler le monde. « Sans théorie révolu-tionnaire, pas de mouvement révolutionnaire », affirma-t-il dans Que faire?. De fait, il étudia sans cesse. Au plus fort de la Première Guerre mondiale, il lisait et relisait Kautsky et Marx, certes, mais encore Hegel, Héraclite, Aristote… Pas d’action révolutionnaire sans diffusion des analyses qui l’éclairent au moyen de livres, de brochures et de journaux. Sous divers pseudonymes, le dirigeant bolchevique écrivit beaucoup et jusqu’à l’épuisement final, s’acharna à créer des journaux, qu’il qualifiait d’ « organisateurs collectifs».
Pas de révolution, enfin, sans organisation tendue et conçue vers cet objectif. Les premières divergences avec les mencheviks partirent de là.
Après la révolution, les ultimes réflexions de 1922 y revinrent pour s’inquiéter de la concentration des pouvoirs en son sein et de sa dangereuse confusion avec l’État soviétique. Aujourd’hui, où le pire n’est plus à écarter, où les nationalismes redressent la tête et les impérialismes durcissent leurs rivalités, alors que les guerres éclatent ou menacent, tandis que le capitalisme surexploite comme jamais la terre et les travailleurs, dont les droits sont partout en recul, l’histoire peut aider à épargner l’avenir de ce qui n’est plus tolérable comme à comprendre les réponses d’hier.
L’ambition de ce hors-série de l’Humanité sur Lénine n’est pas de restaurer une icône, mais de réinterroger un parcours et des combats replacés dans leur temps. À cette fin, nous avons rassemblé des auteurs très divers. Leurs écritures ont été scrupuleusement respectées en accord avec l’ouverture aux débats et au pluralisme des opinions qui font la fierté de l’Humanité.
De toute évidence, Lénine a reposé nombre de questions anciennes, exploré des pistes et apporté des réponses inédites, dont beaucoup méritent d’être reconsidérées et creusées en tenant compte de ce que l’histoire nous a appris, au regard des interrogations actuelles, dans les conditions de notre temps et des perspectives qu’elles autorisent à esquisser.
Vaste programme.