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De digues en digues…

Fabien Gay

27 nov. 2021

L’anniversaire du 21 avril 2002 coïncidera, à quelques jours près, avec les prochaines élections présidentielles. Chacun garde en mémoire le traumatisme : l’extrême droite tutoyait les 17%, balayait la gauche et, pour la première fois, se qualifiait au second tour de l’élection présidentielle. Cet anniversaire n’aura rien d’une fête. Il sera plutôt celui d‘une défaite, collective et au long cours. Car près de vingt ans plus tard, voici que l’extrême droite culmine à 35% dans les sondages. Divisée, certes, mais plus forte, plus influente du fait même de sa division, et plus décidée, avec le pouvoir suprême dans le viseur.

L’anniversaire du 21 avril 2002 coïncidera, à quelques jours près, avec les prochaines élections présidentielles. Chacun garde en mémoire le traumatisme : l’extrême droite tutoyait les 17%, balayait la gauche et, pour la première fois, se qualifiait au second tour de l’élection présidentielle. Cet anniversaire n’aura rien d’une fête. Il sera plutôt celui d‘une défaite, collective et au long cours. Car près de vingt ans plus tard, voici que l’extrême droite culmine à 35% dans les sondages. Divisée, certes, mais plus forte, plus influente du fait même de sa division, et plus décidée, avec le pouvoir suprême dans le viseur.

Ces intentions de vote catastrophiques, atterrantes et alarmantes, ne sont que la traduction d’une bataille des idées et des mots que l’extrême droite remporte inlassablement, bénéficiant de forts relais dans certaines sphères de la grande bourgeoisie nationale et du monde médiatique pénétrant peu à peu toutes les sphères de la société.

En 2002, Jacques Chirac refusait de débattre avec le Pen. 20 ans plus tard, ces idées ont contaminé une grande partie de la droite républicaine. Il n’y avait qu’à observer les débats des primaires des Républicains pour s’en convaincre. Face à un corps militants chauffé à blanc et doublé pour l’occasion à 150 000 adhérents, ce fut une foire aux idées putrides, glanés dans des sphères issues des courants nationalistes qu’une mémoire résistante avait réussi à ternir à l’écart. Non seulement l’immigration et la sécurité auront monopolisé plus de la moitié du temps de parole des cinq candidats, mais sur chacun de ces sujets, les propositions ont redoublé de démagogie sécuritaire et d’outrances xénophobes.

Autrefois capable de s’adresser à un large éventail de la population et poussée au compromis républicain, la droite, prise en étau entre les offensives macronistes et zemmouriennes, se rétracte dangereusement sur les thèses empruntées à son extrême, perd de sa spécificité construite dans le sillon gaulliste, et contribue à l’affaissement considérable du débat public. Et partant, de la République.

Qu’on en juge par les propositions émises : fin du droit du sol qui fonde pourtant le caractère civique de la nation depuis plus de deux siècles, moratoire sur l’immigration ou immigration zéro, fin du regroupement familiale... « Aucun étranger ne pourra percevoir d’allocations sociales avant une présence de six ans sur le territoire national » ose M. Ciotti, qui décidemment ose tout. Sur la sécurité, l’essentiel des propositions se heurte au droit constitutionnel, à la séparation des pouvoirs comme à l’individualisation des peines : « Guantanamo à la française » ose à nouveau M. Ciotti, « loi d’orientation et de programmation police-justice » tente M. Barnier, « large déploiement de drones dans les manifestations » avance M. Pécresse, possibilité pour les procureurs de prononcer des peines sans passer par un juge clame M. Bertrand …

Le principe des primaires devrait s’en trouvé condamné. En poussant à une forme de radicalité démagogique à résonnance nationale, elles contribuent à réorienter l’ensemble du débat public. Ajoutons que le vainqueur, une fois confronté à l’ensemble du corps électoral, se trouve contraint de rationnaliser son propos et de se dédire, décrédibilisant une parole politique qui n’en a vraiment pas besoin.

Car qui peut croire que Michel Barnier, le docte commissaire européen rodé au compromis veuille vraiment « supprimer le droit du sol » sur un département français, comme Mayotte, donner « un coup d’arrêt immédiat à tous les flux », et réduire "drastiquement" le regroupement familial ? Et les voilà qui, en chœur, réclament la construction d’un « mur » à la frontière orientale de l’Europe pour empêcher les migrants menacés de mort, transis de froid entre la Biélorussie et la Pologne et objets d’un odieux marchandage géopolitique, de trouver refuge sur le territoire de l’Union européenne. On se souvient pourtant que ceux qui saluent aujourd’hui l’édification de murs sur différents points de la planète exigeaient, en d’autres temps, qu’on en abatte. Rien d’étonnant à ce que cette sordide course à l’échalote ne favorise, in fine, que les candidats les plus à droite et nourrisse la fange dans laquelle se vautre le pays.

Ainsi, la droite subit l’offensive des extrêmes-droites plus qu’elle ne propose de projets issus de sa propre tradition politique. Au-delà de leur profonde inhumanité qui rompt avec une tradition multiséculaire d’hospitalité qui a fait la grandeur de notre pays, ces mesures placeraient la France dans une intenable situation qui signerait un irrémédiable déclin. Une immigration zéro, avec moratoire ou pas, reviendrait à priver la France de ses étudiants étrangers. Ils et elles étaient plus de 90 000 en 2019, soit la première catégorie d’étrangers accueillis sur notre sol, venus y développer leurs compétences, y enrichir leurs connaissances, contribuant ainsi à assoir la renommée de la France à travers le monde. Les refouler conduirait les pays d’émigration, selon l’antique principe de réciprocité, à refuser à leur tour la présence d’étudiants français sur leur sol. Ils et elles sont pourtant près de 100 000 à suivre des études dans un autre pays.

Comment en outre accepter, selon les termes d’une « immigration choisie » vantée par la droite extrémisée, que les 22 568 médecins à diplôme étranger qui exercent en activité régulière, selon l’ordre des médecins, ne puissent vivre avec leur famille ? Ceux qui nous ont sauvé pendant la pandémie n’aurait donc pas droit au bonheur simple d’être avec les leurs ? Comment aussi le refuser à l’éboueur exténué, à l’ouvrier éreinté, au livreur exploité ? On observe ici que mépris de classe et racisme borné font souvent bon ménage. Et si l’extrême droite veut mettre en place son odieux projet de « rémigration », il faudra dont expliquer aux 2,5 millions de français dont quelques dizaines de milliers d’exilés fiscaux, que selon le principe de réciprocité, ils devront eux aussi rentrer en France….En plus d’être odieuse et cruelle, cette « politique » se révélerait donc particulièrement inefficace.

La France, n’en déplaise à certains, est tenue par des conventions internationales et des traités qu’elle a honoré de sa signature, dont la Convention européenne des droits de l’Homme qui garantit un « droit au respect d’une vie privée et familiale », ou la convention de Genève qui définit le statut de réfugié et instaure un droit d’asile qu’il conviendrait d’ailleurs d’élargir dans notre pays pour affronter solidairement les défis mondiaux, qu’il s’agisse des conflits armés, du sous développement, ou du réchauffement climatique. Ces traités et conventions forment l’armature d’une politique de fraternité qui se heurte aux logiques nationalistes, de compétition et de guerre. La France aurait tout à perdre, et son honneur en premier lieu, à leur tourner le dos.

Ce purin permanent et étouffant, entretenu par une sphère médiatique complice dotée « d’experts » amenés à plancher sur la moindre polémique instruite par l’extrême droite, a des fonctions objectives. Dont celle de masquer l’absence totale de projet économique et social des prétendants de droite et d’extrême droite, tenant les uns comme les autres à préserver, voire à renforcer, le cadre général d’exploitation capitaliste et impérialiste, en dressant les classes populaires les unes contre les autres.

Cette situation réclame de renforcer la solidarité de classe avec tous les travailleurs immigrés, et de ne rien céder de l’ambition fraternelle et solidaire qui est celle de « notre France ». Continuons à faire entendre notre voix, fier de nos valeurs et de notre histoire, pour qu’elle grandisse et s’impose dans un débat public, dont le désastreux affaissement risque de produire de nouveaux monstres.

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