top of page

Entendre la colère

Fabien GAY

6 juil. 2023

A l’origine des révoltes et des détériorations récentes, la mort de Nahel, 17 ans, abattu par un policier le 27 juin dernier pour un refus d’obtempérer et un délit de fuite. La colère vient en réaction à cette mort injuste, injustifiable, mais aussi à toutes celles qui l’ont précédée et qui révèlent un profond dysfonctionnement de l’institution policière.

Les violences et les dégradations se déchaînent particulièrement contre les services publics ou celles et ceux qui sont perçus comme des représentants de l’Etat, à la fois lointains et proches. Elles doivent être condamnées. Elles pénalisent en premier lieu celles et ceux qui les commettent et leur entourage en détruisant les services publics, les lieux de rencontre, de culture ou d’éducation. Mais ce cri de colère doit être entendu. Tout comme celles et ceux qui craignent pour leur voiture – qui leur permet d’aller travailler –, leur commerce ou leur domicile.


Ces voix contradictoires – celles des jeunes révoltés par les violences policières et celles de ceux qui subissent les violences urbaines- disent quelque chose de la fracture de la société française. Elles appellent une réponse politique, à l’opposé d’une partie des syndicats de police qui veut la guerre civile contre ceux qu’elle affuble de ce qualificatif de « nuisibles ».


S’il faut se méfier des catégorisations hâtives et des oppositions binaires, forcément réductrices, entre banlieues et milieu rural ou entre catégories socio-professionnelles, ces différentes composantes de la société ne vivent pas nécessairement les mêmes réalités et ne se comprennent plus. Pourtant, leurs difficultés ont la même origine : des politiques austéritaires et libérales, en faveur de quelques-uns et au détriment du plus grand nombre.

En miroir de ces violences matérielles – dont il ne faut pas occulter la dimension symbolique – apparaissent les violences multiples, financières, humaines que subissent une majorité de Françaises et de Français et qui sont tout particulièrement exacerbées dans les banlieues, comme dans le milieu rural ou ultramarin.


Contrairement à l’idée véhiculée par l’extrême droite, ces dernières sont moins bien dotées, disposent de moins de services publics et notamment hospitalier, de moins d’enseignants et de moins de transports. Elles subissent de plein fouet le racisme et la relégation des plus défavorisés dans des ghettos « de pauvres », tandis que les riches se constituent ailleurs leurs propres enclaves intouchables. Alors, où sont les divisions, où est la violence ?


Une réponse autoritaire et sécuritaire serait donc déconnectée de la réalité du pays. Les émeutes seront réprimées, sans doute ; les plaies resteront béantes. Les difficultés resteront, les colères exploseront à nouveau tôt ou tard, comme elles avaient explosé en 1983 aux Minguettes puis en 2005. Au contraire, il faut écouter et dialoguer. L’institution policière doit être repensée et réformée, des moyens déployés pour les services publics, les transports en commun développés. Et les politiques urbaines doivent favoriser la mixité sociale.


Car la situation actuelle, tout comme les discours d’ordre et de répression, ne profitent à terme qu’à une seule force politique, celle qui prône l’exclusion, la peur et la haine de l’autre : l’extrême droite – alimentée par une partie des policiers confondant police et justice, violence et ordre, et appelant à la sédition. Les banlieues n’ont besoin ni de complaintes, ni d’un énième plan. Elles doivent urgemment rentrer dans les politiques publiques communes.

bottom of page