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Les Outre-mer exigent l'égalité

Fabien GAY

4 déc. 2021

Pour comprendre le mouvement social d’ampleur qui secoue la Guadeloupe et la Martinique, et couve en Guyane, un détour s’impose par l’histoire coloniale et celle de l’esclavage, qui sont ancrées dans ces territoires et ont structuré les rapports sociaux, économiques et politiques jusqu’à aujourd’hui.

Pour comprendre le mouvement social d’ampleur qui secoue la Guadeloupe et la Martinique, et couve en Guyane, un détour s’impose par l’histoire coloniale et celle de l’esclavage, qui sont ancrées dans ces territoires et ont structuré les rapports sociaux, économiques et politiques jusqu’à aujourd’hui.


Si personne, ou si peu, ne réclame le divorce avec la France, la défiance, l’incompréhension, et donc la colère, enracinées dans des décennies d’abandon, de mépris et de non-prise en compte des réalités de ces territoires ultra-marins, ont pris le pas. La gestion de la crise sanitaire, avec la mise en place du passe sanitaire et de l’obligation vaccinale pour les soignants, n’est que l’allumette qui a mis le feu aux poudres. La colère sociale profonde, exprimée par les puissants mouvements de Guadeloupe en 2009 et de Guyane en 2017, n’a trouvé aucune des réponses attendues.


Si la crise sanitaire a révélé les difficultés et accru les inégalités en métropole, ces territoires les ont vu exploser, tant la République s’y révèle défaillante et les services publics asphyxiés. Les chiffres indiquent l’ampleur des problèmes, dans tous les secteurs : 10 000 enfants Guyanais seraient aujourd’hui non scolarisés ; 30% des Guadeloupéens n’auraient pas accès à l’eau ; le taux de chômage est de 15% en Martinique et de 21% en Guyane ; la plus grande ville française en superficie, Maripasoula, au cœur de la forêt amazonienne, n’est toujours pas accessible par la route… Qui accepterait une telle situation dans un département métropolitain ? Personne !


A cet abandon s’ajoute la « profitation », mot créole qui dénonce un système issu de l’histoire coloniale, fondé sur le profit et l’exploitation. Aux Antilles comme en Guyane, quelques grands groupes sont en situation de monopole ou d’oligopole. La Sara qui gère l’approvisionnement en fioul, essence et gaz depuis cinquante ans et possède sa raffinerie dans le Lamentin en Martinique, l’illustre parfaitement. La bouteille de gaz y approche 28 à 30 euros, tandis qu’en Guyane le prix du super frôle 1,80 euros. Dans le même temps, un tiers des Guadeloupéens et des Martiniquais, et la moitié des Guyanais vivent en dessous du seuil de pauvreté. La loi sur l’égalité réelle en outre-mer, qui a institué la transparence des prix, doit impérativement aller plus loin, en instaurant celle des marges de ces quelques grands groupes qui grappillent leurs profits sur le dos des peuples antillais et guyanais.


Ces mouvements sociaux sont donc, avant tout, des mouvements contre la vie chère. Envoyer le GIGN et le RAID n’y changera rien. Si les violences et les pillages doivent être condamnés, il est d’abord urgent de remettre de l’ordre social et de faire de l’égalité républicaine, non plus une promesse, mais une réalité pour les Antillais et les Guyanais.


Il est tout aussi nécessaire que l’État reconnaisse sa responsabilité dans le scandale du chlordécone, insecticide dont la toxicité était connue depuis 1976 : interdit dans l’hexagone en 1990 seulement, une dérogation d’utilisation a permis son épandage dans les bananeraies des Antilles jusqu’en 1993. Aujourd’hui encore, les Antillais se battent pour faire reconnaître ce scandale et obtenir des dépistages gratuits, alors que 90% de la population seraient infectés.


Pour éviter d’instaurer le dialogue attendu par les élus et la population, pour éviter de répondre aux questions sociales et sanitaires, pour éviter de prendre toutes les décisions qui s’imposent, le ministre des Outre-mer a lancé un débat sur l’autonomie. Enfermé dans son bureau à Paris depuis le début de la crise et décidant seulement en début de semaine de se rendre sur place, il agite la peur et la menace du largage politique. Il sait pourtant très bien que l’évolution statutaire et institutionnelle ne peut se faire en Guadeloupe sans consultation de la population, comme le précise notre Constitution. Il y a donc urgence à répondre à la crise sociale, sous peine de voir la défiance devenir une rupture.

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