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Lettre à la République

Fabien GAY

20 juil. 2023

On parle beaucoup en ton nom, ces derniers jours. Tu te serais même transformée en arc, préférant l’extrême droite et ses idées autoritaires et racistes à une partie de la gauche. Tu le sais pourtant mieux que quiconque : les premiers t’ont toujours combattue, ils ont même failli t’abattre ; les seconds t’ont toujours défendue, au péril de leurs vies. Comment en est-on arrivés à ce moment de bascule, où les valeurs sont brouillées ?

Un de tes enfants est mort sous le tir d’un policier à Nanterre. Il s’appelait Nahel. L’émotion légitime a laissé place à la colère – violente, quasi mutilatrice, qui a emporté des biens publics et privés. Voici que celles et ceux qui subissent ton absence au quotidien par l’asséchement des services publics ont été les premiers touchés par cette violence – une double peine.


Plutôt qu’un débat politique et citoyen sur le rapport entre la police et les classes populaires de banlieue, sur le manque dans tous les domaines pour instaurer véritablement l’égalité républicaine au cœur de ta devise, nous avons droit au discours nauséabond de l’extrême droite et ses alliés. Selon eux, il faudrait faire le tri entre tes enfants, savoir qui est français et « comment » pour mieux exclure. Le discours de l’ordre est aussi de retour. Etouffer la colère, ne surtout pas s’attaquer aux causes. Mais toi, tu le sais, il ne peut y avoir de retour à « l’ordre républicain » sans justice sociale, environnementale, et pour Nahel. Après les Minguettes il y a 40 ans, Zyed et Bouna il y a 18 ans, la justice doit enfin être au rendez-vous.


Il faut bien le dire : tout le monde est perdu. Les élus locaux, abandonnés par l’Etat, qui te font vivre avec un bout de ficelle et des sparadraps. Le tissu associatif, culturel et sportif, jamais à court d’idées et de talent mais qui a vu ses moyens amputés avec la fin des contrats jeunes. S’ils étaient aidés comme les entreprises, sans contreparties, tu imagines ?


Nul besoin de démagogie ou de discours victimaire, ni d’un énième plan banlieue qui finira enterré après une annonce en grande pompe. La banlieue ne demande qu’à entrer dans les politiques publiques au même titre que le reste du pays. Contrairement à la fable colportée par l’extrême droite, on ne déverse pas des milliards pour ses habitantes et habitants qui ne paieraient pas d’impôts. Cela aussi, tu le sais : en France tout le monde paie la TVA, l’impôt qui rapporte le plus au budget mais aussi le plus injuste car que l’on soit au SMIC ou millionnaire, on paie la même chose.

Vivre en banlieue, c’est donc payer le même impôt sans bénéficier du même service. Il faut trois fois plus de temps pour divorcer à Bobigny qu’à Paris. On ne compte plus les dysfonctionnements dans les transports. Un élève perd une année de scolarité pour cause de non-remplacements de professeurs absents. Les exemples se déclinent dans tous les secteurs : emplois, logement, santé, sport, culture…


Il nous faut reconstruire ce qui a été détruit, et vite. La banlieue a de la liberté et de la fraternité à revendre, mais elle a soif d’égalité. Surtout, il faut retisser du lien entre tes enfants. Rien ne sert d’opposer banlieues et territoires ruraux ou ultramarins : ils subissent les mêmes symptômes des politiques austéritaires et libérales qui dépècent les services publics – qui constituent pourtant ton socle.


Il nous faut arrêter la machine infernale de la division enclenchée par les libéraux autoritaires et les semeurs de haine et te rebâtir dans un effort constant pour nous montrer dignes de toi : une République démocratique, laïque, sociale et féministe, partout sur le territoire.

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