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Banlieues : l’ordre comme seul horizon

Annonçant dans une salle feutrée de La Sorbonne le plan du gouvernement, Elisabeth Borne a eu le mérite de dévoiler les intentions sécuritaires pour nos banlieues populaires. Faisant suite aux émeutes qui ont frappé notre pays à la suite de la mort du jeune Nahel par un policier à Nanterre, l’exécutif continue sa surenchère démagogique et inefficace contre les quartiers populaires.


D’emblée, le seul sujet qui ne fait pas partie ni du diagnostic, ni des pistes de travail, concerne les rapports police-population. Un impensé qui est en réalité un non-dit et qui vise à éluder les causes d’une colère populaire face à une injustice profonde. Les jeunes de quartiers populaires sont discriminés au faciès et brutalisés par une logique policière humiliante où leur couleur de peau voire leur religion supposée sont des facteurs aggravants d’un contrôle social étouffant.


Ce déni a donc été détourné par un narratif insupportable, où les jeunes seraient de plus en plus violents et des parents de ces mêmes jeunes des irresponsables démissionnaires. Comme si ce qu’il se passe depuis des années ne pouvait être discuté malgré les rapports réguliers et les enquêtes qui prouvent le caractère systémique d’une discrimination insupportable. Dire cela n’est pas excuser les actes délictueux, les dégradations de services ou d’équipements publics qui ont pénalisé les familles populaires en premier lieu.


Après avoir repoussé plusieurs fois les comités interministériels consacrés à la politique de la ville, les mesures sont tournées vers une logique uniquement répressive. En aggravant les sanctions (financières notamment) contre les parents d’enfants délinquants ou des stages de « responsabilité parentale », on renvoie l’idée que les causes des violences sont le fait de seules responsabilités individuelles. L’encadrement militaire est même proposé en renforcement de placements dans des unités de protection judiciaire de la jeunesse. En termes de services publics, des forces d’action républicaines (FAR) sont proposées pour renforcer temporairement des administrations avec des situations de difficulté ou en cas de tension. Enfin, les polices municipales pourraient se substituer à des missions de police judiciaire en termes d’infractions et de constatations.


Cécité gouvernementale sur les problèmes sociaux


A rebours des appels et analyses des élus, associations et éducateurs de terrain, le gouvernement ne veut établir que l’ordre comme réponse politique. Ce programme est d’ailleurs cohérent avec les projets contre les jeunes dans l’Education nationale, reléguant celles et ceux issus des classes populaires à être une main d’œuvre corvéable à merci par la réforme des lycées professionnels ou en voulant les caporaliser au travers du Service national universel.


Nos quartiers méritent pourtant une attention prioritaire en tant que zones socialement défavorisées. Les premières études démontrent en effet que ce sont bien les territoires les plus populaires qui ont été impactés, rejoignant d’ailleurs les cartes de mobilisation des Gilets jaunes. Les indicateurs sociaux y sont très inquiétants avec une prégnance de la pauvreté, accentuée par l’inflation, et un recul des services publics. Ce sont ici les effets d’une politique de droit commun marquée par l’austérité où l’école ne joue plus son rôle de formation et de citoyenneté et où les collectivités locales ne peuvent agir pour le bien commun.


Depuis 2017, le rejet du rapport Borloo a été vécu comme une insulte à ces acteurs de terrain qui avaient voulu porter une ambition commune pour les villes populaires. Les émeutes ont rappelé l’ensemble de ces problèmes que le gouvernement ne veut pas voir. Avec de nombreux maires regroupés dans l’association Villes et Banlieue qui portent un nouvel appel « Faisons République ensemble », le gouvernement doit entendre ces revendications pour améliorer la situation et changer réellement la vie dans ces quartiers par le droit commun et une politique de la Ville digne de ce nom.


Ce qui implique d’agir sur une école digne de ce nom, de relancer une rénovation urbaine à l’arrêt et de porter une véritable réforme de la police pour servir la population. Même si Elisabeth Borne a enfin évoqué l’enjeu du logement au comité interministériel des villes, elle a reconnu l’échec de loger les personnes les plus précaires dans les mêmes territoires sans agir pour faire appliquer la loi SRU imposant 25% de logements sociaux pour chaque commune.


Les associations, les travailleurs sociaux doivent être entendus et soutenus pour leur travail de lien social et de prévention, d’éducation populaire. Il faut en finir avec les discours réducteurs insultants les parents, les raccourcis racistes qui voient tous les problèmes des quartiers populaires par un prisme identitaire et sécuritaire. Ce n’est pas connaître la richesse de nos territoires et au contraire renforcer la colère, la relégation que ressentent beaucoup de jeunes qui voient le mépris qui leur est affiché quotidiennement à travers des discours honteux.


Dans mon département de Seine-Saint-Denis qui cumule toutes les discriminations territoriales (1 élève de Seine-Saint-Denis perd en moyenne une année scolaire du fait de l’absence d’enseignants), on ne peut s’arrêter à une réponse policière. Il faut relever les défis de l’accès à l’emploi, aux transports, lutter contre les discriminations en tout genre. Je rencontrerai prochainement des acteurs de mon territoire pour relayer et faire vivre l’appel de Lyon.


Les banlieues méritent mieux que des instrumentalisations et un projet réellement ambitieux d’égalité républicaine. Cela ne peut se faire dans un libéralisme autoritaire effréné qui méprise les territoires.

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