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Condamnation de Deliveroo : la dignité des mots

375 000 euros d’amende pour travail dissimulé, soit la peine maximale prévue ; un mois

d’affichage de la condamnation sur la page d’accueil du site internet de l’entreprise ; peines

de prison avec sursis assorties d’amendes pour trois anciens dirigeants ; versement de

dommages et intérêts aux organisations syndicales parties civiles ; 9,7 millions d’euros

d’arriérés de cotisations sociales réclamés par l’Urssaf pour la période couverte, de 2015 à

2017 : les peines rendues à l’encontre de Deliveroo par le Tribunal correctionnel mardi 19

avril dernier marquent une victoire et une avancée pour la reconnaissance des droits des

travailleurs·euses des plateformes.


Au-delà de ces sanctions marquantes, cinglantes même, et surtout, justifiées et justes, les mots qui ont été employés dans cette affaire par le tribunal sont forts : « plateforme de mise en services » et non pas de « mise en relation » ; utilisation de l’indépendance comme « habillage juridique » ; « lien de subordination permanent » entre la plateforme et les coursiers à qui l’on vend pourtant l’indépendance, l’absence de supérieur hiérarchique, le choix des horaires et du temps de travail ; « travail dissimulé » ; « trouble majeur à l’ordre social » ; « fraudes sociales et fiscales ». Ces mots reconnaissent un état de fait, à savoir une fraude massive au droit du travail. Ils impliquent la reconnaissance de l’exploitation que subissent les travailleurs·euses. Ils sont profondément politiques, au sens noble du terme.


Ces mots qui qualifient les pratiques de Deliveroo – mais qui s’appliqueraient également à

d’autres plateformes – comblent en effet une lacune du gouvernement.

Que l’on nous comprenne bien : il ne s’agit pas d’une véritable lacune juridique, le Code du

travail, même s’il a été mis à mal par Macron, sous son propre quinquennat comme sous le

quinquennat du Président Hollande, est tout à fait armé pour ces formes de travail qui, certes, comportent des particularités à prendre en considération. Non, ce que la justice fait, lorsque la Cour de cassation requalifie des contrats entre les coursiers·ères et des plateformes en contrat de travail ou lorsque le Tribunal correctionnel condamne Deliveroo, c’est appliquer le droit, et c’est en conséquence qualifier les fraudes dont se sont rendues coupables ces plateformes qui ont cherché à le contourner. Mais cela revient également à pointer l’absence de réaction du gouvernement sur le sujet et son refus d’examiner les propositions pour faire respecter les droits de ces travailleurs·euses. Pire, le gouvernement a tenté, d’abord avec la loi LOM, puis par le biais d’amendements au sein de différents projets de loi, de faire appliquer une charte favorable aux plateformes, ou encore le tiers-statut, défavorable aux salariés.

Cette décision du Tribunal correctionnel, c’est au fond l’affirmation que ces entreprises-là ne

dictent pas le droit et ne sont pas toutes-puissantes.

Il était donc important que ces mots résonnent, avec toute la légitimité et tout le poids que leur confèrent les institutions juridiques qui les ont prononcés.


Ces mots-là, nous les employions déjà au groupe CRCE, avec notamment mon homologue

Pascal Savoldelli, Sénateur du Val-de-Marne et initiateur d’un tour de France à la rencontre

des travailleurs·euses des plateformes qui a abouti à la proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques rejetée en séance publique au Sénat. Nous les

employions parce que, à la différence d’autres forces politiques dont le traitement du sujet a

été trop rapide et surtout, opportuniste, nous avons travaillé la question sur le terrain avec les livreurs et les livreuses, et en profondeur avec des spécialistes du droit social, notamment

Barbara Gomes, Maîtresse de conférence en droit social et Conseillère de Paris.

La justice a donc rappelé le droit social, mais a aussi rétabli une certaine justice sociale. Nous ne pouvons que saluer cette décision et espérer qu’elle ne sera qu’un jalon dans la lutte pour les droits des travailleurs·euses des plateformes numériques.


Pour consulter la proposition de loi :




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