LA PAIX : UN PROJET POLITIQUE

30 Nov 2023

Colloque Guerres et Paix dans le monde du 19ème au 21ème siècle

Samedi 25/11/2023 – Toulouse

Cher·e·s ami·e·s,

Nous sommes réunis autour du thème des guerres et de la paix du 19ème au 21ème siècle… Une période particulièrement meurtrière, qui compte les heures parmi les plus sombres de l’histoire.

Je pense bien sûr aux deux guerres mondiales, mais aussi au colonialisme et à toutes ces guerres qui font rage à l’heure où nous parlons. Pas moins d’un tiers de l’humanité vit en situation de conflit actuellement.

Et d’une certaine manière, nous vivons dans un monde qui, du point de vue des conflits armés, est redevenu inquiétant pour nous européens.

Bien sûr, il l’a toujours été. Croire le contraire est un leurre ; l’illusion que la mémoire suffira à nous garder des horreurs passées ne tient malheureusement pas. Mais l’invasion de l’Ukraine décidée par Vladimir Poutine le 24 février 2022, en Europe, nous a rappelé que nous n’étions jamais à l’abri de la guerre, qu’elle n’était jamais loin. Une sale guerre, décidée par l’autocrate Poutine sous les coups de boutoir de l’OTAN, qui se prolonge et s’enlise.

Et je pense bien sûr particulièrement aussi à la situation dramatique en cours à Gaza. Plus de 11 000 morts dont la moitié qui subissent un déluge de feu entraînant le chaos, les morts et les destructions. Après l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre, c’est un cycle qui s’est enclenché sur les braises d’une occupation insoutenable et d’un triple blocus depuis 17 ans.

Mais nous sommes également réunis autour de la figure de Jean Jaurès, ce « travailleur vigoureux et infatigable », comme le qualifiait Stefan Zweig, ce défenseur ardent de la paix. Un engagement qui lui coûta la vie, puisqu’il fut assassiné à la veille de la Première Guerre mondiale par un ultranationaliste, Raoul Villain.

Dans ce contexte de fortes tensions internationales, se souvenir de Jaurès et de sa lutte pour la paix est salvateur.

J’ai donc choisi de vous parler aujourd’hui de la paix. Mais je veux d’emblée préciser une chose : je parle de la paix comme d’un véritable projet politique. Et pour bien comprendre cela, il faut comprendre que la paix ne se résume pas à l’absence de guerre ou à la fin des conflits armés.

Non, la paix n’est pas une absence. Elle n’est pas – ou du moins pas uniquement – l’en-creux de la guerre.

Car vivre dans un pays qui n’est pas en guerre ne signifie pas vivre en paix, dans un pays qui ne connaît aucune tension géopolitique avec ses voisins, qui n’est pas pris dans la spirale de la concurrence et de la surenchère qui, trop vite, mènent à la guerre. Cela ne signifie pas non plus vivre en sécurité, et c’est cela, au fond, la paix : plus profondément que l’absence de guerre, c’est un état de sécurité des peuples qui permet leur émancipation totale, débarrassés de toute oppression, discrimination, d’exploitation et de mise en concurrence des peuples.

Et un état de sécurité des peuples, c’est bien sûr l’absence de conflit armés, mais c’est aussi la possibilité de vivre dignement, de manger à sa faim, d’avoir accès à l’eau et à l’énergie, à la culture… La paix englobe l’absence de guerre, mais ne s’y résume pas. Elle la condition d’une vie pleine et digne. C’est aussi une manière de vivre ensemble.

Voilà, à mon sens, ce que devrait être la « paix véritable » que souhaitait Jaurès.

Et la paix est menacée, sans cesse. Et peut-être tout particulièrement en ces années que nous vivons, car nous semblons bel et bien engagés sur les voies qui mènent aux conflits.

Ce qui menace la paix, ce sont bien sûr les tensions géopolitiques et les guerres ; mais fondamentalement, ce qui menace une paix véritable, ce sont les inégalités, les injustices et les discriminations, qui mènent aux conflits et sont entretenues par ceux qui y ont intérêt, c’est-à-dire les capitalistes et avec eux, les profiteurs de guerre qui ont intérêt à l’inflation que nous vivons aujourd’hui, qui permet au gouvernement à leur solde de réprimer, mais aussi d’abroger les conquis sociaux y compris par autoritarisme.

D’abord, la paix véritable et l’émancipation ne peuvent advenir sous les coups de boutoir du capitalisme. Il n’y a pas intérêt. Ce système repose sur l’accaparement des richesses et la concurrence ; entre les travailleurs et les travailleuses, entre les entreprises, entre les peuples. Il repose sur l’inégalité et l’exploitation des masses aux profits de quelques-uns. Il nous a mené à l’ultralibéralisme contre lequel nous nous débattons aujourd’hui, au détriment de l’intérêt général.

Et les ultralibéraux qui nous gouvernent basculent dans un libéralisme autoritaire, on le voit à la multiplication des lois restreignant les libertés et les droits, aux vagues sécuritaires et aux discours et aux lois de plus en plus proches de l’extrême droite, notamment sur l’immigration. Ils préparent tous les outils pour les fascistes, lorsqu’ils arriveront au pouvoir. Car si j’espère de tout cœur que nous éviterons cette catastrophe, elle semble hélas bien enclenchée, comme le prouvent leurs victoires en Italie, aux Pays-Bas ou encore en Argentine.

Parce que le capitalisme repose sur la concurrence et la recherche de profits, il mènera, si nous le laissons faire, au fascisme. Ils sont les deux faces d’une même pièce, celle de l’exploitation du plus grand nombre par quelques-uns, celle d’un monde du chacun pour soi.

La flambée de l’extrême-droite, en Europe et dans le monde, montre bien que le nazisme n’est pas un mauvais souvenir pour tout le monde et que le fléau du fascisme guette inlassablement, qu’il ne faut jamais relâcher la vigilance, lutter sans cesse contre toutes ses monstrueuses émanations. Y compris lorsque le fascisme se pare d’un vernis plus acceptable et manifeste contre l’antisémitisme, avec dans ses rangs des antisémites notoires, comme Zemmour qui a osé dire que Pétain avait sauvé des juifs. Nombreuses sont les voies qui mènent au fascisme, et le fascisme mène à la violence.

Nous pensions peut-être, au sein de l’Union européenne, être préservés du fascisme mais aussi des guerres, dans une forme d’utopie, si l’on peut dire, néolibérale où les échanges commerciaux pacifieraient les relations internationales. Ce mythe, certains parmi les fondateurs de l’UE y ont sans doute véritablement cru. D’autres, plus cynique, n’y ont vu que les prémices d’un tout-marché et de profits à venir. La logique néolibérale, qui repose sur une visée de profits à court-terme, a non seulement creusé les inégalités au sein des peuples, mais également entre les pays. Dans le tourbillon de cette concurrence féroce, de rivalités voraces, l’escalade et la surenchère finissent souvent par devenir les seuls horizons.

La logique belliciste sous toutes ses formes doit être combattue. Elle prend sa source et se renforce dans le lit du nationalisme, du repli sur soi identitaire, du racisme, qui conduisent à des injustices et des discriminations, jusqu’à la haine.

Elle se renforce également par le colonialisme, et la situation actuelle en Israël et en Palestine l’illustre. Car en opprimant un peuple, en créant l’apartheid, on ne fait que nourrir l’injustice, et l’injustice engendre la haine qui peut mener au terrorisme.

L’attaque du Hamas, le 7 octobre dernier, est inexcusable. Mais elle n’advient pas sans des décennies de violences, d’humiliations, d’emprisonnement, d’expulsion, d’occupation, de checkpoints, de murs, d’accaparement de terres. Tenter d’expliquer et de comprendre n’est pas justifier. On ne résout aucun conflit, aucune situation problématique si l’on ne tente pas d’en comprendre les origines et les rouages, pour ensuite travailler activement à la paix, qui ne peut advenir sans justice et réparation.

Mais la réplique qui frappe actuellement Gaza est tout aussi inhumaine, tout aussi inexcusable, car la vengeance aveugle et forcenée ne règle jamais aucun conflit et ne fait qu’ajouter de la haine à la haine. Non, à la barbarie terroriste islamiste, on ne peut répondre par les crimes de guerre et le nettoyage ethnique.

Et cette guerre, qui implique de nombreux autres pays, risque aussi de déstabiliser tout le Moyen Orient. Si ce conflit déborde et embrase les pays voisins, les conséquences pour les peuples seront terribles. Les conséquences économiques et environnementales aussi.

Il n’y a pas de paix durable dans le capitalisme forcené qui est le cadre dans lequel nous vivons, dans cette course au profit délétère qui passe par les voies de la domination par quelques-uns du plus grand nombre, par certains pays ou groupement de pays sur d’autres. Cela ne peut mener qu’à la surenchère et à la destruction. Le capital a intérêt à la guerre.

Et la guerre peut se jouer à plusieurs niveaux ; elle n’est pas nécessairement limitée à un conflit armé avec un autre pays. En créant la division entre les citoyens, en entretenant sans cesse le fantasme des ennemis tant intérieurs qu’extérieurs, les pouvoirs autoritaires se mettent aussi en guerre… contre une partie de leur peuple ! C’est là tout le danger du fascisme, qui sous couvert d’unité et d’identité nationale, ne fait qu’exclure des parties de la population. Mais c’est aussi une dérive du capitalisme, qui tient aussi sur la division et l’exploitation de la majorité de la population, tout en lui faisant croire qu’il y a toujours plus précaire. Qui tient sur les privilèges de quelques-uns et l’entre-soi soigneusement préservé de la classe dominante.

A l’inverse, la paix suppose qu’il n’y ait pas de division entre les peuples, que l’égalité en droit soit respectée. La paix véritable, la paix comme projet politique, au contraire, c’est une société juste, de partage des ressources et des richesses. C’est le choix de la justice plutôt que de la vengeance, c’est la voie de la diplomatie plutôt que de la surenchère guerrière destructrice, dont la jeunesse envoyée par les puissants comme chair à canons est toujours la quatrième victime.

A rebours de la course au réarmement à laquelle nous assistons, ravivée par la guerre en Ukraine.

Ainsi, en France, la loi de programmation militaire adoptée cet été en fera le premier poste de dépenses de l’Etat d’ici 2030, avec 413,3 milliards d’euros – ce qui représentera une augmentation de 40% – dont 50 milliards pour la dissuasion nucléaire. Dans un total mépris pour le Traité de Non-Prolifération (TNP) signé par la France et du Traité sur l’interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) adopté à l’ONU, qui rend les armes nucléaires illégales et interdit jusqu’à la stratégie de dissuasion nucléaire, et qui est entré en vigueur le 21 janvier 2021.

La Pologne, quant à elle, entend doubler son budget militaire. Même l’Allemagne amorce une remilitarisation, qui pourtant avait toujours été d’une grande prudence sur la question – la mémoire, sans doute.

Les logiques d’alliance, de blocs s’aiguisent et des grandes puissances s’affichent désormais en rivaux systémiques. Le surarmement progresse en Asie orientale quand la Russie veut creuser le sillon d’un conflit de civilisations, de valeurs.

Ces choix financiers sont non seulement porteurs de guerres, mais encore révèlent-ils les projets politiques et les représentations du monde et des relations internationales de ceux qui les font. Surtout, ils se font au détriment d’autres politiques publiques essentielles à la vie des peuples : la santé, l’agriculture, l’éducation ou la culture, par exemple.

Enfin, l’extrême droite gagne en puissance à travers le globe. Même si elle a perdu en Pologne, elle grimpe en Grèce, en Allemagne, ici bien sûr, gagne en Argentine… Les exemples s’enchaînent, les risques s’accroissent.

La menace de la guerre renforce le nationalisme et les réactions de repli et de surenchère guerrière. Mais ce sont toujours la défense et la dissuasion qui sont brandies comme justification, de même que pour l’arme atomique.

A l’heure actuelle, les dépenses vers l’armement nucléaire se chiffrent à 69 milliards d’euros en 2021, selon la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN). L’heure n’est donc pas à l’abandon des quelques 13 080 armes nucléaires qui composent l’arsenal mondial – et qui coûtent 146 500 euros à chaque minute qui passe aux neuf États qui la détiennent.

Face au risque de l’armement nucléaire, Frédéric Joliot-Curie et les signataires de l’Appel de Stockholm pour la paix du 19 mars 1950 — toujours d’une actualité criante — exigeaient : « l’interdiction absolue de l’arme atomique, arme d’épouvante et d’extermination massive des populations. » Nous ne pouvons que souscrire à leur appel.

Dans un contexte de tensions et de remilitarisation, quelles sont les chances que la paix puisse advenir ?

Garantir la sécurité de sa population par la menace de violences n’est qu’une illusion. Lorsque l’on combat par la violence, on trouve toujours plus fort que soi, plus déterminé, mieux équipé.

Et bien sûr, la guerre ravage. C’est une évidence, mais je veux avoir une pensée pour toutes les victimes et leurs familles, partout dans le monde. Nous ne faisons pas de tri dans la solidarité et la fraternité humaine, en RDC, au Yémen, aux kurdes, au Mali, au Soudan, en Ethiopie, en Arménie… Je veux avoir une pensée également pour toutes les voix qui continuent à appeler à la paix.

Pour notre part, à l’Humanité, nous avons porté cet héritage de notre fondateur dans cette période de tumultes. Nous faisons le choix des peuples, de l’analyse et non de l’émotion, des faits et non des fake news, de donner les paroles aux acteurs de la paix bien souvent menacés ou en danger. A l’image de ce qu’il se passe en Ukraine, nous avons d’emblée ouvert nos pages à la solidarité avec les réfugiés. Nous sommes et nous serons encore toujours les ardents défenseurs d’une paix juste et durable pour toutes et tous.

Il y a les morts, bien sûr, et les blessés. Il y a les destructions d’immeubles, d’infrastructures. Et il y a aussi les impacts sur l’environnement, tant le climat que la biodiversité. Et c’est, là encore, fondamental.

Certain balaieront d’un revers de main ce constat, au regard des vies humaines détruites et des drames humains. Pourtant, cela touche au plus grand défi que nous devons affronter, rien moins que la survie de la planète – et donc, de l’humanité. A bien plus de vies, au final, que la plus meurtrière des guerres – jusqu’à présent du moins, mais il est vrai que la menace de l’arme atomique guette toujours.

L’insécurité liée au changement climatique menace, là encore, la paix. Par son existence même, mais aussi du fait des conséquences du changement climatique, qui conduiront inévitablement à des déplacements massifs de population et de conflits autour des ressources – ils ont déjà commencé pour l’eau.

La paix, au contraire, c’est un état du monde, ou plutôt la garantie d’un monde dans lequel les humains respectent la planète et l’ensemble du vivant car sans ce respect-là, il n’y aura pas de respect entre les peuples ni de sécurité pour l’ensemble des habitantes et habitants de cette planète. Notre alimentation, l’air que nous respirons, l’eau en quantité suffisante dépendent de la planète. La sécurité des peuples est conditionnée au respect de la planète et à la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Elle est conditionnée à une certaine sécurité quant à l’avenir de la vie sur Terre.

La paix ne peut se construire durablement dans un monde où le profit est plus important que les vies, où la prédation des ressources l’emporte sur leur juste répartition. Elle ne peut se construire et se consolider sans éducation, sans la rencontre avec l’autre et les échanges. Elle n’existe pas sans culture mais elle n’existe pas non plus sans la rencontre avec les cultures de l’autre.

Elle ne peut advenir sans respect des droits humains, sans réduire les inégalités, quelles qu’elles soient, sans assurer l’égalité entre les femmes et les hommes, sans fraternité et solidarité entre les individus et entre les peuples.

La paix n’est pas un idéal, elle est un objectif à construire. L’Assemblée générale des Nations-Unies, le 15 janvier 1998, déclarait que « La culture de la paix est un ensemble de valeurs, attitudes, comportements et modes de vie qui rejettent la violence et préviennent les conflits en s’attaquant à leurs racines par le dialogue et la négociation entre les individus, les groupes et les Etats ».

Nous connaissons les racines des conflits. A nous de nous en saisir. Car la paix est un horizon politique, qu’il nous faut absolument atteindre si nous voulons vivre dans un monde dans lequel les peuples sont en sécurité, un monde où une véritable émancipation est possible.

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