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Manouchian ou la reconnaissance de l’universel

Missak Manouchian, c’est l’histoire d’un homme qui a fui le génocide arménien, devenu ouvrier mais aussi poète et qui a donné sa vie, comme ses camarades résistants, pour libérer la France du joug nazi. Lui l’immigré, qui avec les 22 membres de son comité FTP-MOI a été fusillé, et dont le visage s’est retrouvé sur les murs des villes par l’occupant. Son crime ? Combattre pour la France, « terre de révolution et de la liberté », comme il aimait à qualifier son pays d’accueil.


La panthéonisation de Missak Manouchian est un acte politique majeur. C’est le fruit d’une longue bataille menée par le comité de soutien avec Jean-Pierre Sadoun, Denis Peschanski, Katia Gurgarossian et Pierre Ouzoulias qui ont fédéré les communistes français, l’Humanité, la communauté franco-arménienne et ses amis, des historiens et républicains sincères. Qu’ils soient toutes et tous remerciés pour leurs efforts déterminés.


Alors que la République s’élève à honorer le rôle d’étrangers dans la libération de la France, faut-il accepter que ce rendez-vous de février 2024 soit un simple moment suspendu dans un climat rance où la haine se diffuse impunément dans le débat public ?


On ne peut en effet faire fi de cette atmosphère insupportable où l’extrême-droite dicte l’agenda politique et où les confusions historiques sont savamment entretenues.

Cet événement est une occasion de battre en brèche l’idée que les étrangers sont une composante hostile à un corps national qui serait par définition pur. La frontière entre Français et étranger a toujours été un objet de bataille politique intense depuis la fondation de la République et n’a jamais été aussi hermétique que les réactionnaires voudraient bien le faire croire.


Pourtant, faut-il compter les étrangers qui ont participé à la Révolution française, à la Commune de Paris ou d’autres pages glorieuses de notre histoire ?  Missak Manouchian est bien l’illustration que la France n’est pas un pays ethnique mais bien une nation politique fondée sur le triptyque Liberté-Egalité-Fraternité.


Faire entrer Missak Manouchian au Panthéon, c’est reconnaitre le rôle des Francs-Tireurs et Partisans de la Main d’œuvre Immigrée (FTP-MOI) dans la Résistance – une main d’œuvre venue majoritairement d’Europe de l’Est et surtout juive -,  le rôle des républicains espagnols exilés et des combattants d’autres nationalités qui ont donné leurs vies dans des actes de résistance, sans compter les soldats morts aux fronts des issus des diverses colonies ?


Au-delà de la Résistance, les étrangers ont participé à construire ou reconstruire la France dans tous les domaines, scientifique, politique, social, économique, sportif ou culturel, participant ainsi à son rayonnement.


N'en déplaise aux racistes, nous devons notre liberté à l’engagement de ces étrangers qui étaient attachés aux principes universalistes d’une France qui ne les a pas toujours bien accueillis (déjà !). Relégués socialement, objets de discriminations, ces femmes et ces hommes venus d’ailleurs ont trouvé dans la solidarité de classe le ressort de leur amour pour la République au point de mourir pour elle. Elles et ils se sont battus parce que le besoin s’en faisait sentir.


Faire entre Missak et Mélinée Manouchian, quelques semaines après le vote de la loi immigration qui reprend des thèses frontistes et l’instauration de la préférence nationale, ne peut être passé sous silence. La fraternité, si souvent attaquée depuis vingt ans et l’instauration du débat rance sur l’identité nationale, est pourtant l’un des piliers essentiels de la République, qui soude la liberté et l’égalité. En attaquer un, c’est faire trébucher les deux autres. Non, les femmes et les hommes qui viennent aujourd’hui dans notre pays ne sont pas plus des ennemis qu’ils ne l’étaient hier. Elles et ils ne demandent qu’une chose : vivre dignement dans notre pays.


Commémorer Missak Manouchian, ce n’est pas simplement rendre hommage ou se souvenir. C’est mener bataille aujourd’hui quand les conquêtes démocratiques et sociales, le sens même de la République sont minés quotidiennement. Plus qu’une transmission mémorielle, c’est une flamme qu’il faut reprendre pour que la panthonéasiation du résistant arménien soit celle d’un combat politique véritablement universel, sans exclusive ni hiérarchie.

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