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Sortir l’énergie de la loi du marché européen

Alors que les prix de l’énergie ne cessent d’augmenter depuis plusieurs années, une hausse accentuée par la guerre en Ukraine, l’Espagne et le Portugal ont réussi à obtenir du Conseil européen une dérogation pour sortir temporairement du marché de l’énergie et en réguler les prix.


Cette dérogation interviendra par le biais d’un plafonnement des prix du gaz, utilisé dans la production d’électricité – et surtout principal responsable des hausses de tarifs pour les usagers, puisque l’électricité est indexée sur le gaz. Or, le gaz pose plusieurs problématiques. Non seulement il s’agit d’une énergie fossile, mais encore, elle est importée, ce qui la rend très sensible au contexte géopolitique.


Ces deux pays ont demandé le plafonnement parce que les salaires sont peu élevés, et que les hausses successives des prix de l’énergie pèsent trop lourdement sur les dépenses de la population. Une démarche bien différente du bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement français, qui revient à freiner une hémorragie qui ne peut qu’empirer avec un petit pansement.


Certes, cette dérogation doit être nuancée. En premier lieu, elle ne vaut que pour le cas de l’Espagne et du Portugal, dont les bouquets énergétiques sont majoritairement composés d’ENR (à hauteur de 60% pour le Portugal). S’ajoute le fait que ces deux pays sont très peu interconnectés avec l’Union européenne, en l’occurrence avec la France, ce qui entraîne un isolement qui les font donc bénéficier dans ce cas du régime des îles. Ensuite, cette dérogation ne court que pour une durée d’un an. Enfin, le plafonnement n’est pas complètement libre, puisqu’il passera de 40 euros le mégawattheure à 50 euros au bout de quelques mois – contre 30 initialement demandés par les deux pays, et pour 90 euros actuellement.


Si l’Union européenne a tant insisté sur ces garde-fous, c’est bien pour éviter de créer un précédent – il ne faudrait tout de même pas que les autres États membres s’y mettent à leur tour ! C’est que l’énergie est, au niveau de l’UE, considérée comme une marchandise depuis 1997 (CJ, 23 octobre 1997, Commission c. Italie, C-158/94).


Néanmoins, cette décision nous enseigne quelques leçons qu’il serait bien utile de garder à l’esprit. D’abord, que les règles de l’Union européenne sont conçues par les États qui la composent, et résultent donc de choix politiques. Il est donc, en conséquence, toujours possible de composer autrement. Ensuite, que des exceptions à ces sacro-saintes règles sont possibles, des mesures pour répondre à une urgence sociale également.


Mais surtout, cette décision montre bien que le marché de l’énergie ne fonctionne pas. Il ne fonctionne pas, parce qu’il pénalise constamment les usagers – les « consommateurs » – dont les factures augmentent, quelles que soient les raisons de ces hausses. Il ne fonctionne pas, parce qu’en France, il pénalise l’opérateur historique EDF, contraint de vendre une part de l’énergie produite à des coûts très peu élevés à des opérateurs alternatifs qui n’investissent pas un centime dans la production mais revendent ensuite – cher – aux usagers.


Et enfin, le marché de l’énergie est voué à l’échec, parce que l’énergie est un bien commun. On ne le dira jamais assez ; l’énergie est essentielle. Personne ne peut aujourd’hui s’en passer pour manger, se laver, se chauffer travailler ou même chercher du travail. À partir de ce constat, il est impossible de laisser ce secteur qui relève su service public aux mains du privé qui ne raisonne qu’en termes de profits. Il est impossible de continuer à fractionner un secteur qui doit se structurer au service de la population et donc de manière cohérente entre ses différentes composantes (type de production, tarifs, distribution…)


On nous retorquera que cette discussion est vaine, puisqu’il faut appliquer ce que décide l’UE en matière d’énergie. C’est faux.

D’une part, parce que la France fait partie des États membres de l’Union ; elle compte au nombre des décideurs. La France peut – et doit – porter une demande d’exception pour tous les pays de l’Union européenne au vu de la crise actuelle, de même qu’elle doit porter la transition énergétique et les investissements dans les énergies renouvelables.

D’autre part, parce qu’un État membre peut décréter qu’un secteur relève de l’intérêt général et dès lors, en conserver la compétence au niveau national.


À bon entendeur…





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