Ce 4 octobre constitue une date importante de l’histoire sociale et politique de pays. En cette date de 1945, les premières ordonnances établissant le régime de la Sécurité sociale étaient promulguées.
Cette institution est le fruit d’une réflexion du mouvement ouvrier et des luttes de plusieurs décennies avec les caisses professionnelles, les mouvements mutualistes. Si elle nait après-guerre, la Sécurité sociale et ses principes sont actés dans le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) où le Parti communiste et la Confédération générale du travail sont majoritaires. Il s’agit de garantir des protections sociales aux travailleurs face aux risques de la vie (maladie, accidents de travail etc) mais aussi pour ouvrir le droit à une retraite et à des allocations chômage à celles et ceux qui perdent un emploi.
Le financement en est assuré par la valeur ajoutée issue de la production : ce sont les cotisations sociales. C’est donc le produit collectif des travailleurs qui est mis en commun pour répondre à leurs besoins.
Sécuriser les parcours de vie, c’était l’esprit de celles et ceux qui animaient la Résistance. Leur réflexion faisait le constat lucide que les germes du fascisme et de la guerre se trouvaient dans un capitalisme dérégulé, générateur de violences et d’incertitude permanente pour les travailleurs.
C’est une brèche inédite dans l’ordre capitaliste qui est révolutionnaire. Chacune et chacun contribue à la hauteur de ses moyens et reçoit des prestations en fonction de ses besoins. Surtout, loin d’être un système d’Etat providence comme si la solidarité était un cadeau de bienfaisance, la Sécurité sociale est instituée de telle sorte que les travailleurs et les travailleuses en assurent la gestion directe. En plus d’être un ensemble de conquêtes sociales, la Sécurité sociale est une expérience démocratique inédite. Elle est aussi basée sur un écosystème de services publics ambitieux et maillés sur tout le territoire, fondements de l’égalité républicaine.
Le nom d’Ambroise Croizat n’est pas connu du grand public. Il est pourtant l’architecte de la création de la Sécurité sociale. Seul ministre du Travail à avoir été ouvrier, ce syndicaliste incarne cette nécessité historique de protéger les travailleurs : ouvrier dès 13 ans, il en garda des séquelles physiques toute sa vie qui causeront une mort prématurée.
80 ans plus tard, plus qu’une commémoration, la Sécurité sociale est une institution à préserver et à développer.
Car elle subit des attaques nombreuses depuis la contre révolution libérale. Dès 1967, sous la présidence du général de Gaulle, la gestion des caisses de la Sécurité sociale est étatisée.
Déremboursement des médicaments, franchises médicales, privatisation rampante de l’hôpital public, fiscalisation du système assurantiel : toutes les manœuvres ont été impulsées pour affaiblir la Sécurité sociale. Cela a permis de marteler le mythe du « trou de la Sécu ». Les prestations couteraient trop chères et devraient ainsi être rationalisées pour responsabiliser les citoyens : c’est ce que la ministre démissionnaire Catherine Vautrin a répété il y a seulement quelques jours.
A force d’exonérations de cotisations sociales du patronat, à hauteur de 88 milliards en 2024, les caisses de la Sécurité sociale sont en effet fragilisées. La fiscalisation progressive des recettes a accompagné la lame de fond visant à « alléger le coût du travail ». L’extrême droite a, quant à elle, irrigué le débat public des mythes de l’assistanat et de la fraude des étrangers. A chaque fois, c’est le caractère universel de la Sécurité sociale qui est attaqué.
Le fond de l’affaire est que les libéraux veulent mettre la main sur les 660 milliards du budget de la Sécurité sociale, une manne qui échappe à la logique marchande. Le patronat et la droite disent s’attaquer au modèle social qui serait un frein à l’activité, c’est le programme du CNR qu’ils attaquent et la philosophie d’une République sociale.
Pour eux, la santé qui est le pilier essentiel n’est pas un bien commun mais une marchandise.
La Sécurité sociale est au cœur des affrontements de classe et idéologique. Pourtant, n’en déplaise à ses contempteurs, la Sécurité sociale française est une perspective concrète dans de nombreux pays qui l’érigent en modèle. Mieux, elle fait preuve de son efficacité et il faut rappeler que la santé coûte moins en dépenses en France (11% du PIB) qu’aux Etats-Unis (16,7%). On caricaturerait à l’extrême avec la série étatsunienne à succès Breaking Bad où un professeur de classe moyenne rentre dans la criminalité organisée pour financer sa chimiothérapie et assurer la sécurité financière de sa famille après sa mort. En France, la carte vitale ne guérit pas par miracle mais elle est cet outil commun de toutes et tous pour se faire soigner. La santé, la solidarité coûtent chers mais elles seraient infiniment plus couteuses si chacun devait se débrouiller, contrairement à ce que disent les libertariens. Le coût d’une consultation serait plus élevé mais le coût social d’une non prise en charge le serait encore plus.
Plutôt que de rester sur la défensive, il faut étendre le périmètre la Sécurité sociale. Largement soutenue par la population, cette institution doit être renforcée. Un nouvel âge de la mise en sécurité des parcours de vie doit être institué. L’argent public mal utilisé, notamment à destination des grands groupes, la remise à plat des exonérations de cotisations sociales, la fraude sociale (patronale à plus de 80%) démontrent que la richesse produite par les travailleurs et les travailleuses pourrait déjà être réorientée.
Du logement à l’alimentation en passant par les démarches funéraires, de nombreuses réflexions émergent pour créer de nouvelles branches de la Sécurité sociale. Elle méritent d’être discutées dans le débat public avec les acteurs de ces secteurs et illustrent une volonté d’en finir avec des logiques marchandes qui ne répondent pas à des besoins primaires.
Avant cela, il faudrait agir pour élargir le périmètre de réponse aux soins avec le 100% Sécu alors que les réformes libérales visent à renforcer le marché des complémentaires santé. Cela correspondrait à une évolution logique puisque les dépenses de santé augmentent mécaniquement avec le vieillissement de la population. En renforçant la prévention, ce serait aussi un levier d’économies simple et bien plus efficace que de décourager et culpabiliser les patients.
Il faut également renforcer la branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie, aux personnes âgées dépendantes et handicapées. Tout cela n’est possible que par un réarmement des services publics pour rendre effectif l’ambition d’un accès universel à des droits pour nos concitoyens.
La Sécurité sociale est souvent matérialisée par la carte vitale. A l’heure du déploiement généralisé du numérique, la maitrise des données de santé, leur refus de les marchander au secteur privé notamment pour des raisons de confidentialité méritent de maintenir l’ensemble du dispositif sous contrôle public.
La proposition de loi du groupe communiste à l’Assemblée nationale, de constitutionnaliser la Sécurité sociale, vise non pas à en faire un élément patrimonial mais a en faire le référentiel de toute politique publique sur les besoins essentiels des populations.
La Sécurité sociale est un outil précieux. C’est par nos luttes et nos réflexions qu’elle continue de vivre et de répondre à nos besoins. Vive la Sécu !