Syrie : le peuple doit être souverain

12 Déc 2024

C’est le soulagement pour le peuple syrien. Après cinquante années de dictature de la famille Al-Assad, le régime est tombé tel un château de carte. Décrédibilisé jusque dans ses soutiens, sans base sociale conséquente et après avoir perdu l’appui de ses parrains régionaux et internationaux, Damas est tombé douze jours après une offensive rebelle lancée au nord du pays. 

On ne peut que se réjouir pour les Syriens qui ont vécu les affres d’une dictature et d’épisodes de répression sanglants dont celui du soulèvement populaire de 2011. La guerre qui frappe en effet le pays est certes une responsabilité partagée par tous les acteurs régionaux et des puissances mais le régime de Damas a toujours refusé tout compromis et criminalisé toute contestation, toute voix pour démocratiser, ou simplement assouplir, le système politique. 

La caste menée par quelques familles alaouites autour de la famille Al-Assad n’a consisté qu’en pillage économique, corruption érigée en système et loin d’un idéal panarabique originel en un capitalisme sauvage conforme aux standards de libéralisation et de dérégulation qui font souffrir les peuples. La torture était érigée en système, traumatisant des générations entières de Syriens voués au silence et emprisonnés dans des geôles indignes.

Les Syriens peuvent légitimement nous en vouloir, eux qui ont été abandonnés sur l’autel du calcul et des intérêts dans la région du Moyen-Orient. La solidarité internationale n’a pas été au rendez-vous tant la guerre a étouffé les voix démocratiques, progressistes. L’intensification de la guerre n’a fait que favorisé la logique du pire : répression féroce du régime et de ses milices aux méthodes cruelles et mainmise progressive de guérillas islamistes, jihadistes soutenues par le Qatar, la Turquie notamment avec la complicité silencieuse des Etats occidentaux. Il aura fallu les attentats terroristes de 2015 en Europe pour « se rappeler », s’il le fallait, le danger de ces groupes fondamentalistes.

On ne peut faire fi du contexte régional et international. Ce mouvement a été accéléré par les bouleversements consécutifs au 7 octobre 2023. La force de frappe israélienne, en plus de massacrer les Palestiniens, a considérablement affaibli l’Iran et ses relais locaux à commencer par le Hezbollah. Or, ce dernier était avec la Russie la principale force militaire défendant le régime de Damas. Moscou, pris dans le jeu des sanctions économiques et un effort de guerre colossal en Ukraine, a dû battre en retraite sur son influence moyen-orientale. Les factions armées opposées à Damas l’ont bien compris et soutenus notamment par la Turquie ont foncé vers la capitale. Malgré sa réintégration dans la ligue arabe en 2023, Bachar Al-Assad n’avait pas capitalisé sur ce retour international. Il a négligé voire méprisé les offres de reconstructions des pays du Golfe, lassant ces derniers qui ont compris que rien ne bougerait de la part d’une caste vouée à perpétuer ses prébendes immédiates. 

Mais de quel Syrie parlait-on ? Le pays est exsangue, fracturé en plusieurs parties dirigées par des factions armées. Le gouvernement central ne tenait que moins d’un tiers du territoire.

Le pays s’est disloqué par cette guerre meurtrière, aux 500 000 victimes, aux plus de 6 millions de réfugiés. La Syrie n’était évidemment pas un havre de paix dans une région tranquille. Depuis 2003 et le projet de Grand Moyen-Orient étatsunien, la barbarie est devenue pratique courante, favorisant les logiques militaristes et les foyers jihadistes. L’Irak en a été le cœur, s’étendant logiquement aux Etats voisins. Il faut blâmer le régime syrien, ne pas oublier les logiques internes à la société syrienne qui ont motivé le soulèvement populaire, mais n’oublions pas le désastre régional provoqué par les interventions militaires occidentales. La Russie, l’Iran, la Turquie, Israël, les pays du Golfe, les Etats européens ont toujours suivi cette logique cynique de prendre sa part du gâteau.

Preuve en est : le nouvel homme fort Mohammed Al-Jalouni est un fils de notable issu de la mouvance jihadiste, a fait ses premières armes en Irak avec Al-Qaïda puis Daech, après une formation en Arabie Saoudite. Ce parcours synthétise la prégnance des courants fondamentalistes au Moyen-Orient. Voilà, le résultat de décennies de déstabilisations et de logiques bellicistes. 

Le comble de ce cynisme a été l’intervention militaire occidentale en 2015 pour affaiblir Daech et… prendre le contrôle des puits de pétrole du Nord-Est syrien. Joe Biden a même déclaré que les nouveaux maîtres de Damas, dont le premier d’entre eux (HTS) est placé sur la liste des organisations terroristes, avaient « un lourd passif en matière de terrorisme et de droits de l’homme ». Venant d’un dirigeant qui a occupé l’Irak et érigé la torture en système, on aurait de quoi s’étouffer. 

L’avenir est donc plus qu’incertain. Il est à craindre que la Syrie soit traitée comme un gâteau à partager. Israël veut finir l’occupation et l’annexion du Golan. La Turquie a armé des milices jihadistes qui ont pris de l’expérience en combattant en Lybie, en Azerbaïdjan et seront probablement utilisées pour écraser les Kurdes, bien seuls à porter un idéal démocratique dans la région et au front face au jihadisme. La Russie va négocier le maintien de ses bases militaires pour sauver la face. 

Les pays européens prônent déjà un agenda sécuritaire aux relents racistes : neuf Etats du continent ont suspendu les demandes d’asile des ressortissants syriens au motif que le pays ne serait plus dans la liste des pays dangereux. La France en fait évidemment partie de cette sinistre liste. Pourtant, ces mêmes Etats européens étaient bien contents d’accueillir cette population syrienne dont la moitié venue en Europe dispose d’un niveau de qualification correspondant à un diplôme d’enseignement supérieur. 

L’essentiel des réfugiés syriens sont en Turquie (au nombre de trois millions) et sont poussés au rapatriement à la frontière Sud. Pourtant, dans un pays exsangue, le retour de millions de personnes sans capacités d’accueil se fera dans des conditions déplorables et dangereuses. 

La Syrie n’ira pas mieux si les besoins de son peuple ne sont pas pris en compte. Or, c’est bien le retour aux demandes originelles du soulèvement qui doivent être entendues et qui n’ont pas été réglées : justice sociale, démocratie, respect et égalité entre toutes les composantes de la société. La nomination d’un Premier ministre en la personne de Mohammad Al-Bachir, qui dirigeait l’exécutif proclamé à Idlib, doit porter un programme de transition qui mènera, espérons-le, à des élections.

La Syrie ne doit pas être un terrain de jeu comme tous les pays du Moyen-Orient, avec les Libanais, les Palestiniens, les Irakiens, meurtris par des décennies de guerre, d’intégrisme religieux, de confessionnalisme, d’occupation militaire. Il faut y ajouter les conséquences du réchauffement climatique qui menacent les conditions d’existence dans la région. 

Créons les conditions de solidarités internationales, populaires et actives avec le peuple syrien qui aura en besoin. L’histoire s’écrit maintenant. 

Dans la même catégorie

Musk, influenceur XXL

Musk, influenceur XXL

A quelques jours de l’investiture de Donald Trump qui signera son retour à la Présidence des...

Dans les autres catégories