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Retraites :  la mère de toutes les batailles

Fabien GAY

19 janv. 2023

Le projet de réforme des retraites a été présenté le 10 janvier dernier. On nous promet la pérennité et l’équilibre de notre système de retraite, on a plutôt l’impression de sentir un couperet au-dessus de la nuque des travailleuses et des travailleurs.

Au menu des annonces : recul de l’âge de départ à la retraite 64 ans ; accélération de l’allongement de la durée de cotisation à quarante-trois annuités ; augmentation du montant de la pension minimale à 85% du salaire minimum, soit 1200 euros brut ; soi-disant prise en compte de la pénibilité — avec des critères individuels et un allongement de la durée de cotisation — ; fin des régimes spéciaux.


Le tout afin de « préserver » notre système de retraites par répartition, en garantissant son « équilibre » dans une optique de « justice » et de « progrès social ». Alors que le gouvernement a supprimé l’ISF, réduit drastiquement les droits des chômeurs et favorisé comme jamais grandes entreprises et actionnaires en confortant leurs marges, profits et dividendes, les travailleurs et les travailleuses peuvent s’inquiéter légitimement de sa définition de la « justice sociale ». « Présenter un tel projet est toujours un moment de vérité. C’est un choix politique essentiel. », affirmait encore Mme Borne. On ne peut qu’être d’accord avec cette dernière assertion.


Deux visions de la retraite s’affrontent : l’une, libérale, où la retraite est un temps improductif donc inutile, à repousser au maximum ; la nôtre, où la retraite est un temps libéré qui arrive après une dure vie de labeur, un temps utile pour soi, les siens et la société. Dans un cas, peu importe d’y arriver ou non et dans quelles conditions de santé et financières. Dans l’autre, chacun peut en profiter dignement. 


A partir de ces deux visions, des arguments solides doivent s’échanger. Le gouvernement y oppose en premier lieu que la réforme est nécessaire du fait d’un déséquilibre financier.


Pourtant, les solutions efficaces pour assurer l’équilibre de notre système de retraites ne manquent pas : augmenter les cotisations sociales, particulièrement patronales, mettre fin aux exonérations de cotisations sociales — intégralement compensées par l’Etat, donc les contribuables —, faire contribuer les revenus financiers, assurer l’égalité salariale femmes-hommes, lutter contre le chômage… Un million de personnes supplémentaires en emploi, c’est dix millions de cotisations supplémentaires. Il n’y a aucune urgence à réformer le système de retraites, mais bien à gagner la bataille de l’emploi. Cette réforme idéologique, qui vise à miner l’avancée sociale que constituent la retraite et la Sécurité sociale, est surtout l’aveu de l’échec de ce gouvernement à recréer de l’activité et de l’emploi.

De plus, en allongeant le temps de travail, la réforme va avoir des effets pervers. D’une part, elle va mettre en concurrence les travailleuses et les travailleurs, particulièrement au niveau générationnel, en libérant moins de postes. D’autre part, elle augmentera les difficultés des seniors à retrouver un emploi ou le conserver une fois qu’ils « coûteront trop cher » aux entreprises. La construction d’un « index », formidable avancée selon l’Elysée, sera aussi inutile que la mise en place d’un numéro vert pour avoir accès à ses droits. Ensuite, elle va impacter fortement l’état de santé des Françaises et des Français, déjà révélateur de profondes inégalités puisque l’écart de l’espérance de vie en bonne santé entre un ouvrier et un cadre est de plus de six ans.


Vouloir préserver notre système et garantir sa pérennité selon le Président ouvre en réalité une brèche pour l’affaiblir ; en agitant la menace qui pèserait sur celui-ci — dette, déséquilibre financier — c’est la sortie du système de répartition qui est amorcée. Dans le but d’ouvrir la voie à un système par capitalisation, avec comme horizon la privatisation de ce qu’il reste de service public de la santé et de la solidarité. La stratégie déclinée ici est celle de l’assèchement des services publics en coupant les finances, en criant au gouffre financier puis en prenant des mesures et enfin permettre au privé de remettre la main sur les 346 milliards de cotisations qui sont du salaire socialisé et qui échappent à Blackrock et consort.


L’évolution annoncée est donc une vaste entreprise de libéralisation « en marche », point d’orgue d’une étape fondamentale de la stratégie du capital. Elle arrive comme un réajustement après un premier test en de son acceptabilité 2019-2020. C’est d’ailleurs probablement la question du taux de brutalité nécessaire à faire passer la réforme que se pose le gouvernement, que ce soit au Parlement ou dans la rue. Au Parlement, il pourra compter sur la droite — l’autre, celle des LR — pour l’appuyer moyennant quelques concessions.


Reste la puissance du mouvement social, qui peut compter sur une unité syndicale peu observée depuis des années, allié à la détermination des groupes de gauche au Parlement à faire échec au projet.


En étant unis, en créant du collectif là où le gouvernement ne cherche qu’à diviser, en tenant bon et en faisant front massivement, nous ferons reculer le gouvernement. Cette lutte est fondamentale, elle rejoint toutes les autres luttes sociales : le pouvoir d’achat, l’inflation, la vie chère, la crise énergétique… Les ingrédients d’une victoire sont réunis : unité syndicale, sociale et politique qu’il convient de maintenir et d’amplifier pour garnir les cortèges.


La masse des Françaises et des Français refuse cette réforme. Faisons grandir l’idée d’une autre réforme des retraites, juste socialement et efficace économiquement dans ses effets plutôt que dans les discours qui l’entourent, avec un retour à la retraite à 60 ans, la prise en compte des nouvelles réalités du travail et des attentes des salariés, la contribution des revenus financiers. Le Président peut bien invoquer l’unité de la nation et les ambitions collectives dans ses vœux pour 2023 ; il ne conçoit d’unité que derrière ses décisions et d’ambitions que pour une minorité de privilégiés, imposées au plus grand nombre.


Si nous cédons d’un pouce maintenant, dans les prochaines années les mêmes reviendront pour dire qu’il faut encore « ajuster les paramètres », et « travailler plus longtemps car on vit plus longtemps »… peut-être même jusqu’à 69 ans. Cette bataille des retraites est donc la mère des batailles. Partout dans le pays, réunissons-nous, échangeons, dialoguons, convainquons nos familles, amis et voisins. Il n’y a aucune fatalité. Soyons nombreux aux côtés des syndicats le 19 janvier et dans les prochaines journées de mobilisation. Notre destin est entre nos mains !

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