Le 27 octobre 2005, Zyed 17 ans et Bouna, 15 ans, meurent électrocutés dans un transformateur EDF dans lequel ils s’étaient réfugiés, pourchassés par la police à Clichy-sous-Bois alors qu’ils rentraient d’une partie de football. Un troisième garçon, Muhittin, sera lui gravement brûlé.
20 ans après, nous ne les avons pas oubliés.
Dans un Etat incarné par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, rien n’a été fait pour apaiser la situation.
Au contraire, le « premier flic de France » a accusé d’emblée, et sans preuves, les adolescents d’être des délinquants alors que ses formules scandaleuses « d’en finir avec la racaille » et « de nettoyer les cités au Kärcher » , prononcées quelques semaines auparavant, ont sans aucun doute renforcé l’impunité policière ayant conduit au drame.
Mais « tu vas nettoyer qui ? » pour reprendre l’expression d’un rappeur de l’époque.
Car ce sont des populations entières qui ont été jetées en pâture pour le simple fait de vivre en banlieue, de ne pas avoir la bonne couleur de peau, ou la bonne religion.
La mort de ces deux adolescents a été le point de départ d’une colère trop longtemps retenue. S’en sont suivies trois semaines de révoltes des banlieues, signe d’une colère qui s’est exprimée en Ile-de-France et dans de nombreuses agglomérations françaises.
Les médias à l’époque mettent davantage en avant les dégâts matériels, jouant sur les peurs d’un embrasement généralisé dans le pays.
On trouvera même certains qui qualifieront, de manière stigmatisante, ces soulèvements « d’émeutes d’ethniques » ou « raciales »…
Pourtant, les lieux brûlés et visés par la colère de ces jeunes étaient porteurs d’un sens que les pouvoirs publics se sont refusés à voir : des édifices publics (écoles, bibliothèques), symbole d’une promesse républicaine non tenue et des voitures, symbole de l’enclavement.
Le gouvernement instaura l’état d’urgence et d’un couvre-feu. Une disposition appliquée pour la dernière fois à partir de 1955 pendant la guerre d’Algérie, comme une résurgence d’un traitement colonial de certains territoires français.
Surtout, les pouvoirs publics de l’époque sont restés sourds aux revendications sociales que portaient ces révoltes.
Pourtant, en 2005, les inégalités étaient déjà flagrantes dans les grands ensembles tels que celui du Chêne pointu, où s’est déroulé le drame.
Cette cité met en lumière la casse provoquée à coup des politiques néo-libérales : le chômage de masse s’est développé, accompagnée d’une précarisation et d’une paupérisation grandissantes, mêlé à l’enclavement territorial.
Devenu un défouloir des discours politiques, les banlieues populaires sont désormais synonyme de lieu de relégation sociale. 2005 ne marque pas simplement un cri de colère qui n’a pas été entendu mais la continuité de nombreux épisodes de violences policières, de traumatismes de jeunes personnes racisées qui se sentent délaissés, abandonnés, méprisés.
2005 a été un choc par l’ampleur de la révolte. Malgré les grandes promesses gouvernementales sur la politique de la ville, qui n’ont jamais suivies des faits, ces quartiers ont continué de se dégrader, faute de budget et d’une volonté politique sincère qui se serait attaquée en profondeur aux problèmes sociaux.
Bien sûr, parfois, la rénovation urbaine a permis d’améliorer certains cadres de vie, mais ravaler les façades, ne suffit pas pour enrayer le phénomène de ségrégation et de relégation des habitant.e.s des cités.
Contrairement à l’extrême droite qui propage l’idée que l’on verse beaucoup d’argent dans les banlieues comme dans un tonneau de Danaïdes, la réalité est tout autre.
Beaucoup de services publics y sont sous-dotés par rapport à d’autres départements comme le démontre de nombreux rapports parlementaires ou encore la reconnaissance par la premier ministre Édouard Philippe que la Seine-Saint-Denis était discriminé.
Dans mon département de Seine-Saint-Denis, un-e élève perd en moyenne une année de scolarité faute d’enseignants. Même pour le droit à la tranquillité publique, les collectifs d’habitants et des maires, comme à Sevran ou Noisy-le-Sec, se mobilisent pour des commissariats de plein exercice.
Zyed et Bouna sont devenus, malgré eux, le symbole d’une jeunesse abandonnée et livrée à elle-même qui cumule les discriminations, et d’une jeunesse harcelée, blessée ou tuée par la police nationale.
Une jeunesse que l’on caricature en l’enfermant dans des questions identitaires et qui est surtout… victime de contrôles au faciès à répétition dès le plus jeune âge.
Les études nombreuses démontrent le caractère arbitraire et discriminant de ces contrôles racistes. A l’initiative de plusieurs associations, des familles de victimes, l’Etat a même été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme pour les contrôle d’identité jugés « discriminatoires après une première condamnation pour ‘’faute lourde’’ pour 5 cas de contrôle au faciès.
Après Zyed et Bouna, Adama, Théo, Nahel et tant d’autres ont marqué un cycle de violences policières insupportables, laissé impuni par l’institution judiciaire. Cela laisse des traces indélébiles. Aucun comportement ne peut justifier la mort ou de graves blessures suite à une intervention policière.
Malheureusement, les pratiques et la doctrine n’ont pas évolué et ont même empiré. L’arsenal de loi pratiques policières répressives et d’armes contre ces habitant.e.s jugé.e.s hostiles a été renforcé dans le cadre des lois sécuritaires et de maintien de l’ordre public.
Les lois sur le séparatisme, les discours racistes et islamophobes ont construit un ennemi de l’intérieur fantasmé qui fait le lit de l’extrême droite et justifie les violences et discriminations subis.
Pendant ce temps, l’enchainement de budgets austéritaires, année après année, continuent à dégrader les conditions sociales et économiques des habitant.e.s, générations après générations.
Les villes populaires ont été le laboratoire des politiques de stigmatisation, de casse des services publics, de contrôle social, de libéralisme débridé.
Vingt ans après, on peut affirmer que la politique de l’égalité des chances et de l’entreprenariat n’ont été que de la poudre aux yeux, et n’ont pas été les solutions promises aux problèmes structurels et aux inégalités des banlieues.
Pourtant, les moments de crise ont montré que nos banlieues étaient bien éloignées de ce tableau réactionnaire. Lors de la crise du Covid, ce sont bien les femmes et les hommes des quartiers populaires qui occupaient des poste de travailleurs et des travailleuses de première ligne, essentiels à la production et à la cohésion sociale.
C’est donc une soif d’égalité républicaine, ni plus ni moins, qui s’exprime largement dans les banlieues qui vit les mêmes problématiques que beaucoup de territoires ruraux et ultramarins.
Nous avons besoin d’en finir avec l’austérité, les dégradations des services publics. Nous avons besoin d’une politique de rattrapage et de droit commun pour nos villes populaires. Nous avons besoin de reconnaître et de dépasser le racisme qui touche nos concitoyens pour leur couleur de peau, leur religion supposée ou leur lieu d’habitation. Nous avons besoin de reformer la police, qui se déploie dans les quartiers populaires pour leur signifier leur exclusion de l’espace public, et maintenir un ordre social profondément inégalitaire qui réduit au silence toute voix discordante du discours officiel.
Il faut surtout en finir avec l’idée que tous les maux de la société viennent de la Seine-Saint-Denis et des autres territoires populaires.
20 ans après la mort de Zyed et Bouma, notre département, la Seine-Saint-Denis en reste meurtrie et souffre des clichés qui lui collent à la peau.
Les jeunes de Seine-Saint-Denis comme tous ceux des banlieues populaires sont emplis d’énergie, de projets, d’inventivité. Les forces de progrès doivent s’inspirer de ces expériences dans les luttes et à travers des pratiques renouvelées pour porter un discours fédérateur.
Zyed Benna et Bouna Traoré auraient eu l’âge d’avoir des enfants. Offrons un avenir solidaire et fidèle aux idéaux républicains à cette jeune génération.





